Critiques

Imeneo : Rectangle amoureux

Imeneo : Rectangle amoureux

Patricia Yates (Imeneo) et Elizabeth Fast (Clomiri)
Photographie: Stephanie Sedlbauer

Directeur d’Opéra McGill depuis 2007, Patrick Hansen proposait avec Imeneo sa centième production, comme il est venu nous le dire lui-même en début de soirée. Le public a chaleureusement applaudi l’exploit que représente ce chiffre très impressionnant.

L’homme de théâtre reprend pour l’occasion sa mise en scène de 2011, où on pouvait entendre notamment un jeune baryton, Gordon Bintner, qui s’est révélé destiné à une très belle carrière. On peut trouver en ligne le compte rendu de ces représentations, paru dans La Presse sous la plume du critique Claude Gingras. Sa description correspond bien à ce que nous avons eu sous les yeux quatorze ans plus tard, soit un décor très dépouillé composé de six grandes colonnes (rappelant que l’action se déroule en Grèce), qui semblent en tissu ou en papier rigide. Des couleurs y sont projetées, suivant l’humeur des personnages ou l’atmosphère de la scène et, bien qu’il ne soit pas possible de décoder ces projections, le tout demeure très agréable à l’œil.

L’orchestre d’une vingtaine de musiciens sonne fort bien. On laissera aux spécialistes de la musique baroque le soin de déterminer s’il aurait fallu par endroits des contrastes plus fortement marqués. Cette légère sensation d’uniformité s’explique peut-être aussi par le fait que ce sont des étudiants sur scène, et qu’une direction trop enflammée risquerait de les déstabiliser.

Lors de la création d’Imeneo en 1740, des commentateurs ont suggéré que l’œuvre était une « opérette ». Le genre que nous désignons ainsi étant né une centaine d’années plus tard, ce mot faisait plutôt référence à la minceur de l’intrigue. Imeneo a libéré la jeune Rosmene d’une bande de pirates qui l’avait enlevée, elle et sa confidente Clomiri. Imeneo veut épouser Rosmene, également encouragée par son père Argenio qui lui rappelle son devoir de reconnaissance. Mais Rosmene avait déjà donné son cœur à Tirinto, qui l’aime en retour et se désespère de la perdre. Clomiri aimerait bien devenir la femme d’Imeneo, mais lui n’est pas intéressé. Les personnages vont se questionner et se torturer pendant plus de deux heures, donnant lieu à de très beaux airs, mais à fort peu d’action ! C’est un défi d’occuper la scène aussi longtemps à seulement cinq interprètes (si l’on fait exception des apparitions d’un petit chœur composé des membres de la deuxième distribution), mais nos protagonistes s’en tirent avec les honneurs.

L’autre défi des opéras baroques, c’est d’habiter les longues introductions et de garder l’intérêt constant au cours des nombreuses répétitions du texte. La mise en scène, élégante et vivante, a fréquemment recours à ce qu’on pourrait appeler des « poncifs de bon aloi » : dégainer une épée dans un grand geste noble, arpenter la scène d’un pas inquiet, brandir une harpe avec une mine éplorée… Ce sont là des mouvements que les jeunes interprètes pourront certainement réutiliser au cours de leur carrière. Cependant, certains choix n’éclaircissent pas le propos. Ainsi Imeneo, bien qu’amoureux de Rosmene, se permet de butiner ailleurs, ce qui enlève de la crédibilité à son sentiment. Et on se demande par ailleurs ce que vient faire cette tête coupée, suspendue au-dessus de la fontaine, que les personnages manipulent.

Ce qui domine toutefois, c’est le plaisir de découvrir de jeunes interprètes. Dans le rôle-titre, Patricia Yates, rare exemple de femme ténor, possède une forte présence scénique et une excellente projection. En Argenio, William Dorais fait montre d’aplomb et d’autorité dans ses interventions, malgré une voix pas assez mature pour ce rôle de père. Incarnant un personnage plus en retrait, Elizabeth Fast donne sa pleine mesure au troisième acte, où on peut apprécier ses très beaux aigus.

Le Tirinto du contre-ténor Reed Demangone déploie une voix qui semble mal assurée par instants, mais dans ses meilleurs moments rappelle la douceur d’Alfred Deller. Enfin, l’interprète la plus aboutie ce soir-là est la soprano Patricia Wrigglesworth, parfaitement à l’aise dans le rôle de la tourmentée Rosmene. Voix claire et bien menée, on l’imagine aisément faire carrière, non seulement dans le baroque, mais aussi dans l’opéra français ou italien. Sa scène de la folie de l’acte III annonce peut-être une future Elvira des Puritani, voire une Lucia di Lammermoor.

Patricia Yates (Imeneo), William Dorais (Argenio) et Reed Demangone (Tirinto)
Photographie: Stephanie Sedlbauer

Imeneo

opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel sur un livret de Silvio Stampiglia

Production
Opéra McGill
Représentation
Théâtre Paradoxe , 28 mars 2025
Direction musicale
Dorian Komanoff Bandy
Instrumentiste(s)
Orchestre baroque de McGill
Interprète(s)
Patricia Yates (Imeneo), Patricia Wrigglesworth (Rosmene), Elizabeth Fast (Clomiri), Reed Demangone (Tirinto) et William Dorais (Argenio)
Mise en scène
Patrick Hansen
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