CRITIQUE - Retour en enfance avec L’Enfant et les Sortilèges, deux ans plus tard
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Lucie St-Martin (L'Enfant), L'enfant et les Sortilèges, Opéra de Montréal, 2025
Photographie: Vivien Gaumand
Il y a deux ans, le Théâtre Paradoxe accueillait l’Orchestre de l’Agora sous la direction de Nicolas Ellis et l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Montréal pour une rare mise en scène de L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel. Le retour de cette production, cette fois Théâtre Maisonneuve, présente des améliorations notables.
Avant l’interprétation de cette fantaisie lyrique, reconnue pour sa musique et sa poésie féerique, contrastante et pleine d’humour, l’Opéra de Montréal présentait la création originale de l’opéra Le Phare composé par Laurence Jobidon sur un livret de Maria Reva. Ce conte poétique, à la musique impressionniste, met en scène la solitude d’un phare qui, après avoir éteint sa lampe pour attirer des bateaux, doit affronter les conséquences de son geste. Il s’agit là d’une belle idée métaphorique entourant la question « vaut-il mieux être seul que mal accompagné ? », mais dont l’exécution manque de clarté. La narration présente notamment une ambiguïté autour du personnage de la Lune, qui annonce son départ, puis finalement reste, puis revient, pour repartir pour de bon.
La scénographie et les costumes, bien que soignés, laissent une impression d’inachevé, ne parvenant pas à pleinement soutenir la portée poétique du récit. La musique est, quant à elle, enveloppante et magnifiquement portée par les interprètes. Les duos entre les Bateaux, aux timbres légers et flottants, offrent les plus beaux moments de cette création.
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Le phare, Opéra de Montréal, 2025
Photographie: Vivien Gaumaud
La soirée se poursuit rapidement avec L’Enfant et les Sortilèges qui, sur un tempo rapide, emporte le public dans un tourbillon d’imaginaire et de virtuosité. L’œuvre met en scène le monde de l’enfance à travers la relation d’un enfant en conflit avec sa mère. Peu à peu, les objets de la vie de l’Enfant s’animent et se vengent des caprices qu’il leur a fait vivre. L’œuvre, véritable mosaïque musicale, alterne entre foxtrot, valse, polka, et autres à un rythme effréné, ne laissant pas le temps à l’auditeur de s’ennuyer.
La mise en scène marque une nette amélioration par rapport à la production d’il y a deux ans au Théâtre Paradoxe, bien que très ingénieuse considérant le peu d’espace dont dispose ce théâtre. L’orchestre, cette fois en fosse, permet une plus grande fluidité des déplacements et enrichit la narration par ces chorégraphies. Ce changement semble avoir eu des conséquences directes sur l’interprétation de Lucie St-Martin dans le rôle de L’Enfant. Si sa prestation d’il y a deux ans ne m’avait pas totalement convaincue, celle de ce soir révèle une palette émotionnelle remarquable. Jouer un enfant est un exercice périlleux, et Lucie St-Martin y parvient avec brio, captivant le spectateur par sa gestuelle expressive, même dans les moments où elle ne chante pas. Pas de doute, on est dans sa chambre et dans son univers.
Et quel plaisir pour les yeux que de retrouver les costumes de Marc Sénécal ! Spectaculaires sans être excessifs, ils permettent aux interprètes une grande liberté de mouvement tout en plongeant le spectateur dans un univers féerique. Mention spéciale à Sophie Naubert dans le rôle du Feu, impressionnante tant vocalement que scéniquement : sa manière de faire vivre son costume est un véritable régal.
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Sophie Naubert (Le Feu), L'Enfant et les Sortilèges, Opéra de Montréal, 2025
Quelques faiblesses restent néanmoins à noter. L’interprète de La Princesse et de La Bergère peine à convaincre, son vibrato trop prononcé alourdit des airs pourtant délicats. Le chœur enregistré et présenté sur haut-parleurs présente des imperfections rythmiques et une diction imprécise, surtout lors de l’air de L’Arithmétique, atténuant légèrement l’effet comique de la scène.
Enfin, si la seconde partie de l’œuvre brille par une scénographie envoûtante – avec un immense saule pleureur occupant la scène sur toute sa largeur – le dernier air laisse perplexe. Le chœur perd en intensité, un manque de soutien vocal empêche l’effet espéré, laissant une impression d’inachevé.
En somme, si Le Phare peine à concrétiser sa poésie scénique, L’Enfant et les Sortilèges triomphe par une mise en scène inventive, des costumes éblouissants et une distribution majoritairement convaincante. Une production à ne pas manquer !
L’Enfant et les Sortilèges
fantaisie lyrique en deux parties sur un livret de Colette
- Production
- Opéra de Montréal
- Représentation
- Théâtre Maisonneuve , 6 février 2025
- Direction musicale
- Nicolas Ellis
- Instrumentiste(s)
- Orchestre de l’Agora
- Interprète(s)
- Lucie St-Martin (l’Enfant), Camila Montefusco (Maman), Chelsea Kolić (La Bergère, La Princesse, La Lune, La Chouette), Jamal al Titi (Le Fauteuil, L’arbre, Le Phare), Mikelis Rogers – (L’Horloge Comtoise, Le Chat), Angelo Moretti (La Théière, L’Arithmétique, La Rainette), Justine Ledoux (La tasse, la libellule), Sophie Naubert (Le Feu, La Chauve-Souris, Bateau 1) Ian Sabourin (Un Pâtre, Bateau 2), Bridget Esler (La Pastourelle, Le Rossignol), Ilanna Starr (La Chatte, L’Écureuil)
- Mise en scène
- Sylvain Scott