Critiques

CRITIQUE - Échos lointains d’Afrique par l’OCM : Réminiscences modernes

CRITIQUE - Échos lointains d’Afrique par l’OCM : Réminiscences modernes

Suzanne Taffot (soprano)
Photographie: Tam Photography

Le 6 février dernier, dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noir·es, l’Orchestre classique de Montréal (OCM) présentait, à la salle Pierre-Mercure, son concert Échos lointains d’Afrique, sous la baguette de la cheffe panaméenne américaine Kalena Bovell. Étoile montante de la direction d’orchestre et aussi poétesse, Bovell est réputée pour son implication communautaire active, ayant par ailleurs marqué l’histoire en devenant la première femme noire à diriger un opéra au Canada. La soprano Suzanne Taffot était la soliste invitée, à qui on a confié le mandat d’assurer la création mondiale du cycle de mélodies Le deuil des roses qui s’effeuillent du compositeur montréalais d’origine haïtienne David Bontemps (1978-), sur des poèmes de l’écrivain haïtien Jacques Roumain (1907-1944). Cette œuvre constituait une commande de l’OCM adressée à Bontemps, pour laquelle ce dernier a eu carte blanche. L’orchestre et le compositeur affichent d’ailleurs une collaboration de longue durée, ayant créé ensemble, en 2023, l’opéra La Flambeau sur un livret de Faubert Bolivar (1979-), lequel a été endisqué sous étiquette ATMA Classique en 2024.

Le programme était tout entier dédié aux œuvres de compositeurs noirs, à savoir les troisième et quatrième mouvements des Novelettes, op. 52 (1903), de Samuel Coleridge-Taylor (1875-1912), le cycle de Bontemps, les Danzas de Panama (1948) de William Grant Still (1895-1978) et la Lyric for Strings (1990), de George Walker (1922-2018), premier compositeur afro-américain à recevoir le Prix Pulitzer de musique en 1996. Le concert s’est conclu avec quatre spirituals chantés par Taffot, dans des arrangements de Moses Hogan et de Hugo Bégin, soit Deep River, Give Me Jesus, Sometimes I Feel Like a Motherless Child et He’s Got the Whole World In His Hands. Soulignons d’emblée que la salle Pierre-Mercure était très bien remplie ce soir-là, par un public enthousiaste et, disons-le, particulièrement conquis par la performance de Taffot.

Le concert a commencé en force avec le Coleridge-Taylor, une œuvre de qualité cinématographique de laquelle Bovell a su extraire un souffle puissant – le choix des deux derniers mouvements a d’ailleurs été judicieux à cet effet, assurant une introduction efficace au concert et un propos musical concis. L’orchestre y a fait montre d’une impressionnante cohésion, et on ne saurait dire s’il s’agit là d’une qualité inhérente à l’ensemble, du résultat du travail musical mené par la cheffe invitée, ou d’une fructueuse combinaison des deux.

Kalena Bovell (cheffe d'orchestre)
Photographie: Tam Photography

L’élan a cependant été légèrement freiné dans le cycle de Bontemps, une œuvre plus exigeante, à l’image des poèmes à partir desquels elle a été constituée, qui présentent une imagerie foisonnante de couleurs, de sonorités, de parfums de fleurs et de fruits, mais aussi de tourments. Bontemps y a déployé une écriture moderne et rythmée, peut-être un peu hachurée par endroits. C’est un choix qui se défend, mais on a l’impression que Taffot n’y était pas (encore) tout à fait à son aise : l’expression vocale était contrainte au début de l’œuvre, mais s’est assouplie au fil du cycle. C’est vraiment dans l’aigu et dans les passages lyriques que la soprano s’exprimait le mieux, de sa voix à la fois souple et lumineuse – pensez à un voile de soie rouge qui flotte dans les airs. Pour en revenir à l’œuvre en tant que telle – et c’est peut-être le propre des créations –, je dirai que la performance générale manquait d’assise et de direction. Soulignons par ailleurs quelques problèmes de justesse du côté de la section grave des cordes (altos et violoncelles) au début du troisième poème.

Les Danzas de Panama jouées au retour de l’entracte introduisaient une légèreté bienvenue, mais aussi un caractère un peu convenu, l’œuvre présentant dans l’ensemble une facture néoclassique assez propre. La Lyric for Strings de Walker – qui se serait initialement intitulée Lament, comme nous l’a précisé Bovell – nous a quant à elle redonné un peu du souffle inspiré par les deux mouvements du Coleridge-Taylor, dans une œuvre fort émouvante dédiée à la grand-mère du compositeur, Melvina King, née esclave. Les quatre spirituals finaux ont permis à Suzanne Taffot de déployer de nouveau ses qualités musicales et expressives avec beaucoup de générosité.

En somme, Échos lointains d’Afrique n’a sans doute pas constitué le programme le plus poignant ou le plus emballant, musicalement parlant, auquel nous a conviés l’OCM, mais il témoigne à nouveau de l’étonnante capacité de l’orchestre à prendre des risques artistiques et à sortir des sentiers battus, saison après saison. Il s’agit d’une audace que je salue et dont j’espère continuer de témoigner encore longtemps par cette tribune.

« Échos lointains d’Afrique »

Œuvres de Coleridge-Taylor, Bontemps, Still et Walker, œuvres de tradition orale arrangées par Hogan et Bégin

Production
Orchestre classique de Montréal
Représentation
Salle Pierre-Mercure , 6 février 2025
Direction musicale
Kalena Bovell
Instrumentiste(s)
Orchestre classique de Montréal
Interprète(s)
Suzanne Taffot (soprano)
Partager: