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CRITIQUE - Cont’opéra : Pour le plaisir des petits et des grands !

CRITIQUE - Cont’opéra : Pour le plaisir des petits et des grands !

Carole-Anne Roussel dans La petite fille aux allumettes, Productions Cont'opéra, 2024
Photographie: Jessica Latouche

Rien de plus réjouissant de que voir, à quelques jours de Noël, parents et enfants se presser à la salle Henri-Gagnon de la Faculté de musique de l’Université Laval pour assister à de brefs opéras spécialement conçus pour eux ! C’est en effet la mission que se donnent le pianiste, chanteur, compositeur Jean-François Mailloux et le librettiste et flûtiste Jean-Philippe Lavoie, en adaptant pour la scène lyrique des contes bien connus des enfants. Ces mini-opéras permettent aux enfants d’apprivoiser en douceur l’art lyrique, contribuant ainsi, espérons-le, à en faire le public et, pourquoi pas, les chanteurs de demain.

Dans le cadre du Festival d’opéra de Québec, les deux partenaires ont créé successivement Peau d’âne de Charles Perreault (2021), 3 Contes d’Andersen (2022) et, l’été dernier, Le vilain petit canard, ce dernier étant en lice pour un prix Opus 2024, dans la catégorie « Jeune public ». Depuis 2023, les deux musiciens ont fondé leur propre compagnie, Cont’opéra. Leur nouveau spectacle, intitulé Deux contes lyriques de Noël, a été créé le 21 décembre à Normandin, au Lac-Saint-Jean, et chanté deux fois le lendemain à Québec, une représentation supplémentaire s’étant ajoutée pour répondre à la demande.

Les deux contes, signés Jean-François Mailloux et Jean-Philippe Lavoie, étaient La petite fille aux allumettes, provenant des 3 Contes d’Andersen de 2022, et une divertissante création, Treize à la douzaine, placée, on l’aura deviné, sous le signe de biscuits ! J’ai aimé le contraste, réalisé avec sensibilité, entre ces deux courtes histoires montrant deux des facettes de notre société : la pauvreté et le froid qui évoquent, qu’on le veuille ou non, les sans-abris de nos villes, et l’abondance de nourriture des mieux nantis.

Le décor, fait de projections sur écran et un minimum d’accessoires (un tapis de neige pour le conte d’Andersen et un comptoir de pâtisseries pour le suivant) et la sobre mise en scène de Maëliss Mahé ont permis au jeune public de bien suivre le déroulement des contes, sans se laisser distraire par des éléments superflus. L’imagination et les doigts de fée de Sophie-Marie Martel, reconnue à Québec pour ses originales créations, nous ont valu de magnifiques costumes. La musique de Jean-François Mailloux, d’un style très classique, se laisse écouter avec plaisir. Elle regorge de brèves allusions à des airs d’opéra et à des chants de Noël tant français qu’anglais, autant de clins d’œil aux parents et aux amateurs d’opéra présents dans la salle. Le compositeur, au piano, le librettiste à la flûte, de même que la violoniste Camille Thivierge et la violoncelliste Marie-Loup Cottinet tenaient lieu d’orchestre.

La soprano Carole-Anne Roussel a repris le rôle qu’elle avait créé il y a deux ans dans La petite fille aux allumettes. Prix d’Europe 2021 et une des lauréates du Concours international de chant Reine Élisabeth 2023, elle est en pleine ascension : sa pureté vocale, son éloquence et sa grande sensibilité savent donner vie aux personnages qu’elle interprète. Avec quelle conviction elle a chanté la prière à la paix et à la joie de la petite fille aux pieds nus dans la neige, espérant que chaque allumette la réchauffe ! Subtilement, les projections nous montraient tour à tour une rue pittoresque comme on en trouve dans le Vieux-Québec et, à chaque allumette, l’intérieur confortable et la table bien mise d’un soir de réveillon. « Une âme monte au paradis », se souvient l’enfant en voyant passer une étoile filante. Dans un bel interlude, elle supplie donc sa défunte grand-mère de l’emporter au ciel et, aux accents de la berceuse de Noël Dors ma colombe jouée à la flûte, elle s’endort, quittant ce monde et la scène. Une vieille femme (Priscilla-Ann Tremblay) apparaît alors pour s’adresser au public : elle a connu la grand-mère de la petite fille, déplore les circonstances qui ont causé sa mort et, de fil en aiguille nous emmène en Nouvelle-Angleterre, faire la connaissance du pâtissier hollandais au nom prédestiné, Monsieur Van Amsterdam et de ses clientes, l’exubérante et gourmande Madame Crème-de-Menthe (Carole-Anne Roussel) et la vieille femme déjà mentionnée.

C’est avec mon âme d’enfant que j’ai assisté à Treize à la douzaine, qui s’inspire de cette attention qu’ont les commerçants d’en donner un peu plus à leurs clients. Ce n’est pas le cas de Monsieur Van Amsterdam, boulanger-pâtissier renommé, qui ne l’entend pas de cette oreille, et pour qui une douzaine, c’est une douzaine, point final ! Le conte-opéra repose donc sur le petit conflit qui l’oppose à une de ses clientes particulièrement tenace, la vieille dame. Lui a-t-elle jeté un sort ? En effet, après son passage, le pain et les biscuits ne lèvent plus, sauf les bonshommes en pain d’épice. Après trois jours désastreux pour son commerce, Van Amsterdam se résout à mettre 13 biscuits dans sa douzaine. La leçon a porté fruit et le trio final nous rappellera qu’il est bon de « donner sans compter ».

Marc-André Caron (Monsieur Van Amsterdam) et Priscilla-Ann Tremblay (Une vieille dame) dans Treize à la douzaine, Productions Cont'opéra, 2024
Photographie: Jessica Latouche

Carole-Anne Roussel a troqué les haillons de la petite fille aux allumettes pour la somptueuse robe verte de la bourgeoise Madame Crème-de-Menthe. Elle se livre à d’amusants duos avec le baryton-basse Marc-André Caron, très actif sur la scène québécoise depuis plus d’une dizaine d’années. Ce dernier, dont il convient de souligner la diction impeccable, communique à Van Amsterdam une forte présence scénique. On a pu s’en rendre compte dans l’air de colère l’opposant à la vieille dame au sujet du 13e biscuit, ainsi que dans les touchantes prières qu’il fait chaque soir, sur fond de musique de Noël. La contralto Priscilla-Ann Tremblay, étudiante au doctorat en chant à l’Université Laval, avait quant à elle été remarquée lors du Festival d’opéra de Québec 2023 dans la Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Christian Thomas. J’avais alors apprécié la richesse et la chaleur de sa voix et la façon dont elle savait mettre en valeur son personnage. Ces mêmes qualités ont donné à la vieille dame un caractère énigmatique et quelque peu terrifiant qui laisse sous-entendre qu’elle a peut-être certains pouvoirs pour changer le cours des choses.

Ce spectacle à la fois divertissant et touchant fut accueilli avec enthousiasme par les enfants, grands et petits, preuve que Cont’opéra a atteint son but.

Deux contes lyriques de Noël

Production
Produtions Cont'opéra
Représentation
Salle Henri-Gagnon, Université Laval , 22 décembre 2024
Direction musicale
Jean-François Mailloux
Interprète(s)
Carole-Anne Roussel (soprano), Priscilla-Ann Tremblay (contralto), Marc-André Caron (baryton-basse), Jean-François Mailloux (piano), Jean-Philippe Lavoie (flûte), Camille Thivierge (violon), Marie-Loup Cottinet (violoncelle)
Mise en scène
Maëliss Mahé
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