Critiques

CRITIQUE - Christian Gerhaher et Gerold Huber à la Salle Bourgie : Complicité et excellence

CRITIQUE - Christian Gerhaher et Gerold Huber à la Salle Bourgie : Complicité et excellence

Gerold Huber et Christian Gerhaher
Photographie: Claudine Jacques

S’il y a une chose que j’aime de la Salle Bourgie, c’est qu’elle nous offre souvent des moments de grande qualité (et presque en intimité, étant donné la grandeur de la salle) avec de ces artistes lyriques de la scène internationale qu’on espère tant pouvoir entendre en personne, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie. J’ai ainsi été réjouie lorsque j’ai appris que le baryton allemand Christian Gerhaher était convié à la salle Bourgie le 28 janvier, en compagnie de son fidèle compagnon et pianiste-collaborateur de longue date Gerold Huber. Qui plus est, le duo a été invité à présenter un répertoire conçu entièrement de cycles de lieder d’un compositeur parmi ceux qu’ils connaissent certainement le mieux : Robert Schumann. Les mots qui décrivent à mon sens le mieux cette soirée sont bien simples : complicité et excellence.

Complicité, parce que les deux artistes jouent ensemble depuis plus de 30 ans. Et cela s’est ressenti lors de chaque respiration, chaque début et chaque fin de lied. Cela s’est aussi ressenti dans la musicalité, dans les phrases du baryton et du piano qui ne faisaient parfois qu’une. Excellence, parce que c’est un répertoire qui leur est plus que familier : ils ont enregistré ensemble pour Sony une intégrale des lieder de Schumann. Il va sans dire que pour eux, ce compositeur n’a plus de secret. Leur grand talent musical, conjugué à la maîtrise totale de leur objet, a ainsi résulté en un récital des plus impressionnants.

Christian Gerhaher surprend par les nombreuses couleurs de sa voix qu’il déploie. Les textes mis en musique par Schumann, du moins ceux des cinq cycles présentés (Fünf Lieder, op. 40, Liederkreis, op. 39, Drei Gesänge, op. 83, Romanzen und Balladen, op. 53 et Sechs Gedichte von N. Lenau und Requiem, op. 90), sont très imagés : certains racontent même des histoires. Afin de bien rendre musicalement ces petits récits, ces poèmes, ces confessions, Christian Gerhaher n’hésite pas à mobiliser plusieurs timbres : plus rond et chaleureux lorsqu’il est question de sentiments mélancoliques (« Einsamkeit », Sechs Gedichte von N. Lenau und Requiem, op. 90) ou plus clair et pur lorsqu’il s’adresse plus intimement à la salle (« Loreley », Romanzen und Balladen, op. 53). Il n’hésite pas non plus à insuffler une grande dramaturgie à son interprétation lorsqu’il est question de personnages (« Waldesgespräch », Liederkreis, op. 39). Bien qu’il soit baryton, Gerhaher impressionne par sa grande agilité et sa maîtrise des aigus. Sa déclamation est également claire en tout point, autant lorsqu’il chuchote que lorsqu’il déploie avec force le plus grand volume (« Der Soldat », Fünf Lieder, op. 40).

À ses côtés, le pianiste Gerold Huber se fait à la fois bien présent et discret selon les occasions. Son jeu pianistique imite à perfection la voix humaine lors des phrases musicales partagées avec son collègue, et il accompagne avec une grande sensibilité les passages les plus poignants de chaque œuvre. Les deux interprètes se regardent peu : ils n’ont pas besoin de le faire, ils sont en parfaite communion sonore en tout temps. Ça n’est pas pour rien que la salle les a rappelés trois fois sur scène à la fin de ce programme assez costaud pour un seul récital (pas moins de 30 lieder!).

Redécouvrir ces cycles du répertoire de Schumann qui sont moins présentés ici que, par exemple, son fameux Dichterliebe, op. 48,  s’est également avéré intéressant pour l’adepte d’analyse harmonique que je suis. Schumann se plait visiblement à déjouer l’oreille avertie de son auditeur, habitué à certains enchaînements d’accords caractéristiques, en offrant à plusieurs moments des formules harmoniques inattendues, qui invitent à analyser la partition pour en découvrir les secrets. Je ne peux que remercier la Salle Bourgie pour ce moment musical inspirant, permettant au public québécois d’entendre un duo lyrique des plus intéressants.

Production
Salle Bourgie
Représentation
Salle Bourgie , 28 janvier 2025
Interprète(s)
Christian Gerhaher
Pianiste
Gerold Huber
Partager: