Critiques

CRITIQUE - Un Messie glorieux pour un quarantième anniversaire

CRITIQUE - Un Messie glorieux pour un quarantième anniversaire

Photographie: David Mendoza Hélaine
*Tirée des représentation présentées au Palais Montcalm de Québec

D’abord donnée les 12 et 13 décembre au Palais Montcalm de Québec, la version 2024 du Messie des Violons du Roy a suscité le plus vif enthousiasme le 14 décembre dans une Maison symphonique affichant complet. Pour souligner avec éclat le quarantième anniversaire de l’orchestre qu’il a fondé alors qu’il était encore un tout jeune musicien fraîchement émoulu de l’Université Laval, Bernard Labadie s’est surpassé dans son interprétation – la soixante-dixième de sa carrière, a-t-on mentionné avant le concert – du chef-d’œuvre de Haendel. Dirigeant de mémoire une partition qu’il connaît dans ses moindres détails et dont il savoure manifestement les richesses inépuisables, il excelle aussi bien dans les sections méditatives que les passages brillants ou puissamment dramatiques. Sans aucune baisse de tension, sa lecture se refuse à tout alanguissement indu et dégage au contraire un dynamisme remarquable tout au long de la soirée par sa maîtrise de l’art du contraste. Grâce à la complicité palpable qu’il entretient avec les 26 instrumentistes, il obtient de surcroît des nuances d’une grande subtilité, qui se traduisent notamment par de superbes crescendos ou des reprises d’un raffinement extrême. Ajoutons qu’il a fait le choix de l’édition de Ton Koopman et Jan H. Siemons publiée en 2009 chez Carus-Verlag.

La même rigueur doublée d’une puissante expressivité se retrouve chez les choristes qui composent La Chapelle de Québec. D’une précision admirable jusque dans les longues phrases très ornées que sème généreusement Haendel tout au long de l’ouvrage, les 28 chanteurs forment un groupe dont l’homogénéité parfaite et la splendeur vocale méritent d’être soulignées. Rarement a-t-on l’occasion, en effet, d’entendre un chœur aussi équilibré entre ses différentes sections et qui réponde aussi bien aux moindres indications du chef. Brillant à souhait dans les pages triomphantes comme « For unto us a child is born », « Glory to God », l’Alléluia ou l’Amen final, il nous a procuré des émotions encore plus intenses dans les pages plus tourmentées comme le déchirant « Surely He hath borne our griefs » ou le poignant « Since by man came death », dans lequel le fondu pianissimo était exceptionnel.

Photographie: David Mendoza Hélaine
*Tirée des représentation présentées au Palais Montcalm de Québec

Si les quatre solistes se situent à un niveau très élevé et s’investissent totalement dans chacun de leurs récitatifs et airs, la soprano américaine Liv Redpath nous semble se démarquer par ses éminentes qualités vocales. À un timbre cristallin absolument exquis d’une beauté égale sur toute son étendue, elle joint une musicalité très sûre et une virtuosité ébouriffante qui lui permettent de se jouer des multiples écueils de « Rejoice greatly », qu’elle entonne avec une assurance confondante et une puissance assez étonnante. L’agilité est cependant loin d’être le seul atout de cette artiste, qui se montre merveilleuse d’intériorité dans un « How beautiful are the feet of them » tout en apesanteur, un vibrant « I know that my Redeemer liveth » et un « If God be for us » où elle atteint à des sommets de beauté vocale. Les sections d’altos sont ici confiées au contre-ténor Iestyn Davies, qui se distingue par un soin particulier apporté au poids des mots, qualité essentielle qui lui permet de conférer une grande variété d’expressions à son air le plus important, « He was despised », dont il rend magnifiquement le profond sentiment de déréliction. Sa voix au médium et à l’aigu bien fournis fait également merveille dans ses duos avec la soprano (« He shall feed His flock ») et le ténor (« O death, where is thy sting »).

Applaudi dans cette même salle en juin dernier dans le Requiem de François Dompierre, le ténor Andrew Haji démontre une nouvelle fois d’évidentes affinités avec la musique sacrée. Dès son premier récitatif et son air « Ev’ry valley », il remporte les suffrages grâce à son timbre lumineux, la longueur du souffle et la sobriété dans l’éloquence. La même attention apportée à l’introspection se retrouve dans ses nombreuses interventions de la deuxième partie, qui culminent dans un « Behold, and see » on ne peut plus pathétique. Enfin, la basse William Thomas impressionne par sa projection et un registre grave extrêmement sonore qui nous saisissent lorsqu’il cite les paroles du Seigneur des armées (« Thus saith the Lord ») ou évoque la marche du peuple dans les ténèbres. Si l’ampleur de l’instrument du chanteur ne laisse aucun doute, il faut noter en revanche un relatif manque de souplesse, que révèle de façon plus évidente son dernier air (« The trumpet shall sound »), qui expose de surcroît sa difficulté à atteindre les notes les plus aiguës. Quoi qu’il en soit de cette légère réserve, l’exécution de ce Messie se situe d’ores et déjà très haut dans notre palmarès de la saison 2023-2024.

Le Messie de Haendel

Oratorio en trois parties sur un livret de Charles Jennens d’après la Bible

Production
Les Violons du Roy
Représentation
Maison symphonique de Montréal , 14 décembre 2024
Direction musicale
Bernard Labadie
Instrumentiste(s)
Les Violons du Roy
Interprète(s)
Liv Redpath (soprano), Iestyn Davies (contreténor), Andrew Haji (ténor) et William Thomas (basse)
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