CRITIQUE - Une Vie parisienne olympique !
La vie parisienne, Opéra bouffe du Québec, 2024
En 1866, au sommet de sa carrière, Offenbach reçoit la commande d’un opéra bouffe pour le Palais-Royal. Ce théâtre consacré au vaudeville met en vedette toute une troupe d’acteurs comiques à la forte personnalité. Leur seul défaut : ce ne sont pas de vrais chanteurs. Dans les pièces qu’ils jouent d’ordinaire, ils lancent de petits couplets ici et là, mais jamais très élaborés. Or, Offenbach prévoit écrire beaucoup de musique ! Les journalistes de l’époque rapportent l’inquiétude du compositeur qui devra écrire pour « l’aphonie » de tel acteur, le timbre « un peu voilé » de celui-ci ou encore « le registre indécis » de celui-là.
Ironiquement, le chef-d’œuvre d’Offenbach est de nos jours universellement adopté par tout le monde lyrique, si bien qu’il est aujourd’hui entre les mains – les gosiers plutôt – de « vrais » chanteurs d’opéra, habitués à interpréter Mozart, Gounod, Bizet, voire Puccini, sans que leur parcours les ait nécessairement préparés à maîtriser l’art de dire des blagues. Le danger est de se retrouver avec de grands chanteurs qui ne sont pas toujours de grands comédiens, ce dont La vie parisienne va pâtir davantage encore que La belle Hélène, par exemple, ou La Périchole, œuvres conçues pour des artistes plus exercés.
Avec son flair habituel, l’OBQ a rassemblé une fine équipe d’excellents chanteurs, qui se débrouillent bien en comédie, mais à des degrés divers. Ainsi, Emmanuel Hasler, avec sa voix magnifique, joue un peu sérieusement le rôle de Gardefeu, personnage chez qui on verrait un peu plus de fantaisie (on lui pardonne : il revient tout juste d’Europe où il est allé chanter dans Nabucco de Verdi !). En Bobinet, le compère de Gardefeu, Samuel Tremblay semble s’amuser davantage et use très intelligemment de sa jolie voix de baryton léger.
On remarque la même tendance au grand opéra du côté des dames. Rachel Tremblay chante Métella avec un instrument somptueux, mais son air de la lettre aurait bénéficié de plus de souplesse et d’abandon. De même, Jessica Latouche nous gratifie de magnifiques suraigus, mais joue la Baronne avec des mines un trop peu sérieuses.
Simon Chaussé (Baron de Gondremarck) et Amélie Baland Capdet (Pauline), dans La vie parisienne, Opéra bouffe du Québec, 2024
Les interprètes les plus à l’aise sont au nombre de trois, à notre avis, et en cette année olympique on aimerait leur décerner des médailles. Le bronze reviendrait à Amélie Baland Capdet, belle découverte dans le petit rôle de Pauline, qui fait entendre une voix légère et sonore, et joue la séductrice avec beaucoup d’humour. À Charlotte Vigneault, on remettrait l’argent. Elle joue Gabrielle, rôle pour lequel Offenbach avait fait engager la réputée Zulma Bouffar, spécialiste de ses œuvres. Nul doute que Charlotte Vigneault pourrait chanter aussi le grand répertoire, mais disons que sa voix claire et souple, de même que son jeu habile, s’adapte idéalement à l’opérette.
Dans un article paru le 4 novembre dernier dans Le Devoir, le critique Christophe Huss est allé jusqu’à qualifier de « diamant pur » le baryton Simon Chaussé, et ce n’est pas exagéré. Ainsi, nous lui remettrions la médaille d’or pour sa remarquable maîtrise du dialogue aussi bien que du chant, tout en humour et en fantaisie. Doté d’une science des mots – ou est-ce un instinct ? – il fait ressortir le moindre sous-entendu, la plus fine subtilité du livret si réussi de Meilhac et Halévy.
On retrouve avec un plaisir renouvelé le chœur de l’OBQ, toujours joyeusement déchaîné, qui va jusqu’à accueillir le public dans l’entrée, en costumes, certains membres chantant de vieilles chansons françaises accompagnés par un orgue de Barbarie, pour créer d’emblée une atmosphère bien parisienne. Les costumes sont d’ailleurs ceux de l’époque de la pièce, ce qui est une rareté : on a souvent droit à des transpositions dans les années 1920, 1950 ou 1960, beaucoup plus économes en tissu ! Les amples robes à crinoline, les chapeaux à plume ou à fleurs… les habits colorés forment un régal pour l’œil, et on décerne une médaille toute spéciale à la conceptrice des costumes Diana Carmen Ratycz. On lui doit sans doute ce savoureux clin d’œil final : pendant l’incontournable cancan qui clôt la représentation, les garçons de café retroussent joyeusement leur tablier sous lequel apparaissent des froufrous.
La vie parisienne
Opéra bouffe en quatre actes de Jacques Offenbach, sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy
- Production
- Représentation
- 3 novembre 2024
- Direction musicale
- Simon Fournier
- Instrumentiste(s)
- Orchestre de l’OBQ; Chœur de l’OBQ
- Interprète(s)
- Emmanuel Hasler (Gardefeu), Rachèle Tremblay (Métella), Simon Chaussé (Le baron de Gondremarck), Jessica Latouche (La baronne de Gondremarck), Mehdi Mikaeilzadeh (Le Brésilien), Amélie Baland Capdet (Pauline), Charlotte Vigneault (Gabrielle), Andoni Iturriria (Frick), Samuel Tremblay (Bobinet), Simon-Charles Tremblay-Béchard (Prosper), Caroline Yergeau (Urbain)
- Mise en scène
- Alain Zouvi