CRITIQUE - Le barbier de Séville à l’Opéra de Montréal : Quand le comique est à l’honneur
Hugo Laporte (Figaro) et Alasdair Kent (Comte Almaviva) dans Le barbier de Séville, Opéra de Montréal, 2024
Photographie: Vivien Gaumand
L’Opéra de Montréal a choisi d’ouvrir sa saison 2024-2025 avec une valeur sûre : le célèbre Barbier de Séville de Rossini, œuvre contenant l’un des airs les plus connus de tous les temps, soit le fameux « Largo al factotum » (entendez au loin « Figaro! Figaro, Figaro! »). Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce fut une production haute en couleur somme toute réussie sur le plan musical, mais dont la mise en scène m’a laissée un peu dubitative
Après une sinfonia brillement interprétée par les musiciennes et musiciens de l’Orchestre Métrpolitain sous la direction du chef espagnol Pedro Halffter, on est directement submergé dans l’univers très coloré du metteur en scène Joan Font, dont la vivacité des tons choisis pour les costumes et accessoires rappelait sa Cenerentola présentée en 2017 sur cette même scène. De cette mise en scène se dégagent plusieurs points positifs, telle l’exagération du comique du livret par certains gestes très burlesques. L’un des moments marquants à cet égard fut certainement la scène où le comte Almaviva, alors déguisé en un faux professeur de chant afin de pouvoir passer du temps auprès de sa Rosina sans que son ne s’y oppose, accompagne au piano sa douce qui chante un air. Tout en feignant d’être la source de l’accompagnement qui était en fait orchestral, le comte exécutait une chorégraphie hilarante sur son gigantesque piano. Cette idée, conjuguée au talent d’acteur d’Alastair Kent, a résulté en de forts rires chez le public qui a manifestement adoré cette scène.
La mise en scène était cependant extrêmement chargée pendant tout le premier acte de l’opéra, ce qui donnait parfois un peu le tournis. En même temps que l’histoire vécue au-devant de la scène par les protagonistes, des figurantes et figurants vivaient leur vie : deux personnages cherchaient leur chemin dans une ville, un ivrogne faisait des siennes, et j’en passe. Ces personnages bougeaient parfois plus que les principaux, ce qui engendrait en quelque sorte deux spectacles différents. Je me suis surprise, à plusieurs moments, à perdre totalement le fil de l’histoire principale, perdue dans les méandres de ces personnages secondaires. Peut-être que le désir du metteur en scène était d’assurer une action constante et un mouvement continu, mais il m’a semblé que c’était un peu trop – il ne faut pas oublier que le commun des mortels doit suivre les surtitres en plus de l’action, et bien que je n’encourage pas les mises en scène de type « park and bark », il y a des limites. Par contre, lorsque les personnages secondaires étaient intégrés directement à l’action du livret, ils étaient un bel ajout provoquant plusieurs moments très comiques.
Pascale Spinney (Rosina) et Alasdair Kent (Comte Almaviva) dans Le barbier de Séville, Opéra de Montréal, 2024
Photographie: Vivien Gaumand
Sur le plan vocal, on avait droit à une distribution composée à la fois d’interprètes établis et de la relève, puisque trois personnages étaient interprétés par des artistes de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. Les trois (Bridget Esler, Mikelis Rogers et Jamal At Titi) ont offert de belles performances, qui laissent présager des carrières prometteuses lorsque leurs atouts seront perfectionnés. En ce qui a trait aux personnages principaux, c’est définitivement le comte Almaviva, chanté par Alastair Kent, qui vole la vedette. Performance vocale sans faille, jeu scénique convaincant et réel, c’était un vrai plaisir de l’entendre chanter la pomme à sa belle Rosina. Hugo Laporte n’est pas en reste à ses côtés, ayant offert un Figaro à la fois attachant et naïf, très réussi vocalement.
Pascale Spinney a également offert une belle interprétation de Rosina, avec un timbre vocal des plus chaleureux qui brillait dans les aigus. Basilio et Bartolo, joués respectivement par Giancarlo Margueri et Omar Montanari, étaient très drôles à voir dans leurs costumes rappelant un peu le personnage Beetlejuice qui leur conférait un aspect des plus niais. Là aussi, les voix étaient solides et le jeu captivant. C’est ce qu’il faut après tout pour rendre le Barbier de Séville plaisant : au-delà de la musique, il s’agit d’un opéra où le ridicule prime et il faut de bons acteurs et de bonnes actrices pour bien le rendre.
En définitive, mise en scène trop chargée en moins, cette production produit l’effet escompté : elle est drôle, réconfortante avec sa musique connue et rayonnante par ses couleurs. Cela produira sans l’ombre d’un doute un grand contraste avec le Hamlet prévu en novembre prochain, dont la trame narrative est beaucoup plus dramatique. J’ai bien hâte de suivre le reste de la saison!
Le barbier de Séville
Opéra en deux actes de Gioacchino Rossini sur un livret de Cesare Sterbini, basé sur la comédie éponyme de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
- Production
- Opéra de Montréal
- Représentation
- Salle Wilfrid-Pelletier , 1 octobre 2024
- Direction musicale
- Pedro Halffter
- Instrumentiste(s)
- Orchestre Métropolitain
- Interprète(s)
- Hugo Laporte (Figaro), Pascale Spinney (Rosina), Omar Montanari (Bartolo), Alasdair Kent (Compte Almaviva), Gianluca Margueri (Basilio), Bridget Esler (Berta), Mikelis Rogers (Fiorello) et Jamal Al Titi (Un officier)
- Mise en scène
- Joan Font