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CRITIQUE - Quand La chauve-souris fait bon ménage avec Batman !

CRITIQUE - Quand La chauve-souris fait bon ménage avec Batman !

La chauve-souris, Opéra de Québec, 2024
Photographie : Emmanuel Burriel

Annulée en 2020 en raison de la pandémie, La chauve-souris a pris son envol à l’Opéra de Québec le 11 mai dernier pour quatre représentations, dans une production entièrement québécoise. 150 ans après sa création viennoise, l’opérette de Johann Strauss II fait ainsi son retour sur la scène du Grand Théâtre de Québec après 13 ans d’absence, en français, comme la première fois, dans une version inspirée de celle de Paul Ferrier (1904). 

La deuxième moitié du XIXe siècle ayant été celle des expositions universelles, le metteur en scène Bertrand Alain, de retour à l’Opéra de Québec après Don Giovanni de Mozart (2022), a transposé l’action de La chauve-souris à Montréal durant l’Expo 67. Le résultat fut divertissant, mené rondement et truffé de clins d’œil auxquels le public pouvait facilement réagir. 

Les trois actes ont exploité un même décor d’une grande sobriété, signé Julie Lévesque, et un minimum d’accessoires, juste ce qu’il fallait pour trouver ses repères. Des néons typiquement nord-américains indiquaient clairement le lieu où se passait l’action de chaque acte : « Bungalow », « Cinéma », « Prison ».

Côté costumes, Émily Wahlman n’a pas chômé : Rosalinde – baptisée ici Rosaline –, portait au premier acte une sorte de déshabillé froufroutant rose bonbon, très à la mode dans les années 1960, puis une robe qu’on aurait voulue plus fantaisiste durant le bal costumé, suivie d’un élégant tailleur rose vif pour l’acte de la prison. Eisenstein est passé d’un costume vert pomme plutôt kitsch à un élégant smoking, la soubrette Adèle s’est métamorphosée en Marilyn Monroe, tandis que Batman personnifiait la chauve-souris qui donne son titre à l’opérette. Pour le deuxième acte, les invités du prince Orlofsky s’étaient costumés en personnages ou en acteurs des séries télévisées ou des films des années 1960 : Blanche-NeigeJinny, Mary Poppins, Superman, Zorro, Monsieur Spock, Rita Hayworth, etc. Tout ce beau monde était confié aux choristes dont il faut, une fois de plus, souligner l’excellent travail.

Sous l’alerte direction de Nicolas Ellis, qui, durant toute la soirée, a su créer un bel équilibre entre les chanteurs et l’orchestre, l’ouverture s’est terminée par une courte pantomime rappelant aux spectateurs la raison d’être de « la vengeance de la chauve-souris » : à la demande d’Eisenstein, deux joyeux lurons ont escorté tant bien que mal l’ami Falke, ivre mort, déguisé en... Batman! 

Contrairement aux opérettes d’Offenbach, on trouve peu de grands airs dans La chauve-souris, mais surtout des duos, des trios ou des ensembles avec chœur, le tout mené rondement, et beaucoup de dialogues parlés pour lesquels il fallait parfois tendre l’oreille. 

Catherine St-Arnaud (Adèle) et Dominique Côté (Gabriel von Eisenstein) dans La chauve-souris, Opéra de Québec, 2024
Photographie : Emmanuel Burriel

Le baryton Dominique Côté, très à l’aise en Eisenstein, un rôle normalement confié à un ténor, a le registre vocal pour le faire. Il a montré ses capacités lyriques au premier acte dans ses adieux à sa femme et, à l’acte III, son sens du comique, n’hésitant pas à déformer sa voix lorsqu’il s’est déguisé en avocat pour la piéger avec son amant. 

Pour son premier grand rôle à l’Opéra de Québec, la soprano Jessica Latouche, en blonde Rosaline, ne manquait pas de piquant, tiraillée entre sa fidélité conjugale, son badinage avec Alfred et sa jalousie face aux frasques de son mari. Cela nous a valu de savoureux duos, dont celui du départ d’Eisenstein au premier acte, la scène de la montre et la brillante czardas du bal costumé, chantée en allemand avec aplomb. À ses côtés, Catherine St-Arnaud était une Adèle impertinente, ambitieuse, et son agilité vocale fut mise en valeur dans le célèbre air « Pour un marquis » (« Mein Herr Marquis ») de l’acte II, ainsi que dans son duo avec Ida, bien campée par Rose Lebeau-Sabourin, les deux sœurs voulant impressionner celui qu’elles pensent être un mécène potentiel (acte III).

Bon choix que celui du baryton Dominic Veilleux en Dr Falke. Son irrésistible duo avec Eisenstein au premier acte, et son méditatif « Ô douceur d’être frères, d’être sœurs » (« Brüderlein, Brüderlein und Schwesterlein ») (acte II) ont été dignes de mention. Son complice du bal, le prince Orlofsky, était joliment incarné par la mezzo-soprano Marie-Andrée Mathieu. Avec beaucoup d’humour, le ténor Eric Laporte a mis sa voix puissante et sa belle diction au service d’Alfred, l’amoureux transi de Rosaline. Tout aussi remarquable vocalement et scéniquement, le baryton Geoffroy Salvas, directeur de la prison, était loin de passer inaperçu dans son costume napoléonien. Dans la même veine comique, et tout droit sorti d’une farce de Molière, le ténor Hugues Saint-Gelais fut un amusant avocat bafouilleur, et le comédien Martin Perreault un gardien de prison plutôt hippie.

La chauve-souris

Opérette de Johann Strauss II sur un livret de Richard Genée et Karl Haffner
ORC : Orchestre symphonique de Québec
CHO : Chœur de l’Opéra de Québec

Production
Opéra de Québec
Représentation
Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec , 11 mai 2024
Direction musicale
Nicolas Ellis
Interprète(s)
Dominique Côté (Gabriel von Eisenstein), Jessica Latouche (Rosaline), Dominic Veilleux (Dr. Falke), Catherine St-Arnaud, (Adèle), Marie-Andrée Mathieu (Prince Orlofsky), Eric Laporte (Alfred), Geoffroy Salvas (Frank), Hugues Saint-Gelais (Dr. Blind), Rose Lebeau-Sabourin (Ida), Martin Perreault (Frosch) et Michel Blackburn (Ivania)
Mise en scène
Bertrand Alain
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