Critiques

CRITIQUE - La Traviata : L’ambition de renouveler un incontournable

CRITIQUE - La Traviata : L’ambition de renouveler un incontournable

La Traviata, Opéra de Montréal, 2024
Photographie : Vivien Gaumand

C’est du 4 au 14 mai que l’Opéra de Montréal présente finalement la tant attendue production de La Traviata, très populaire opéra de Giuseppe Verdi programmé par l’institution pour une troisième fois en 4 ans – la pandémie ayant eu raison des deux premières tentatives.

Inspiré du roman et de la pièce de théâtre La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, l’opéra La Traviata a été présenté pour la première fois en 1853. Si la première de l’œuvre est accueillie par un public mitigé – dû à une distribution chancelante – les représentations suivantes conquièrent rapidement les spectateurs. La Traviata, c’est l’impossible histoire d’amour entre Violetta Valéry, une courtisane parisienne, et Alfredo Germont, un jeune homme issu de bonne famille provençale. Tous deux s’éprennent l’un de l’autre lors d’une soirée entre amis. Pour prouver son amour sincère, la jeune femme délaisse son métier pour s’abandonner complètement à son bien-aimé. Toutefois, le père de ce dernier, Giorgio Germont, la conjure de rompre avec lui par respect pour la réputation de sa famille. Violetta consent finalement à ce triste sort et écrit une lettre à Alfredo afin de rompre avec lui. La souffrance de la femme l’afflige tellement que les symptômes de la tuberculose, dont elle est déjà atteinte, reprennent de plus belle. Ce n’est que quelque temps plus tard, après qu’Alfredo ait insulté Violetta en public, qu’il apprend par son père que cette dernière ne l’a abandonné que par sacrifice pour sa réputation. Alfredo accourt dès lors au chevet de sa douce pour se repentir. Mais aussitôt réunis, les deux amoureux sont cruellement séparés par la mort qui s’empare de Violetta.

Dans sa production, Alain Gauthier quitte l’habituel Paris des années 1850 et apporte sa mise en scène vers les Années folles de la capitale française. L’idée derrière cette décision est entre autres d’ancrer le personnage de Violetta dans une inspiration de Joséphine Baker, une femme libre et forte, d’origine afro-américaine et autochtone, qui a œuvré comme danseuse et chanteuse dans les music-halls parisiens des années 1920-1930 avant de devenir une personne active de la résistance française au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Cet éclatant choix artistique a certainement permis de raviver et renouveler les couleurs de ce classique qu’est La Traviata, en modernisant les personnages sans pour autant dénaturer le caractère de l’œuvre. Déjà présentée à l’Opéra de Calgary en avril 2022, la production actuellement à l’affiche à Montréal est le fruit d’un travail colossal mené par cinq maisons d’opéra canadiennes : l’Edmonton Opera, le Manitoba Opera, le Vancouver Opera, le Pacific Opera Victoria et l’Opéra de Montréal. Le résultat de cette conception est une mise en scène époustouflante, ficelée jusque dans ses moindres subtilités. Il en va de même pour les décors et les costumes réalisés par Christina Poddubiuk, qui étaient tout à fait magnifiques.

Si, dans sa programmation de septembre 2020 et de janvier 2022, l’Opéra de Montréal avait tout d’abord imaginé le personnage principal de Violetta Valéry pour la soprano Marie-Josée Lord, c’est finalement à l’américaine Talise Trevigne que le premier rôle a été confié. La soprano porte les costumes de Violetta pour la deuxième fois dans cette production, puisqu’elle était de la distribution de Calgary il y a deux ans. Lors de la première montréalaise, donnée ce samedi 4 mai, Trevigne a fait briller les plus beaux airs de virtuosité du personnage principal avec énormément d’aisance, de puissance et de grâce. Dommage toutefois que la prononciation de l’italien ait été perdue à plusieurs reprises au cours de la représentation. Il est difficile de savoir si la faute n’est pas celle de la chanteuse, mais plutôt celle de l’acoustique de la salle Wilfrid-Pelletier, trop peu clémente pour certaines voix. La soprano a tout de même offert une interprétation dramatique relativement bien sentie, qui aurait somme toute pu être incarnée de manière encore plus poignante. 

Pour accompagner Violetta, c’est le ténor québécois Antoine Bélanger qui a incarné le rôle d’Alfredo. Il faut souligner que le chanteur a relevé un défi colossal puisqu’il s’est intégré à la distribution à moins d’une semaine d’avis afin de remplacer le ténor Rama Lahaj. Outre une erreur d’entrée et quelques problèmes de justesse dans son air « De’ miei bollenti spiriti » et dans son duo « Parigi, o cara » avec Trevigne, Bélanger a offert une interprétation émouvante et tout à fait sentie du personnage d’Alfredo. 

Antoine Bélanger (Alfredo Germont) et Talise Trevigne (Violetta Valéry) dans La Traviata, Opéra de Montréal, 2024
Photographie : Vivien Gaumand

Les deux protagonistes étaient accompagnés de l’Ontarien James Westman, pour qui incarner le rôle de Giorgio Germont est une affaire courante; il l’a chanté plus d’une centaine de fois. De fait, le baryton a livré une solide prestation sans faute avec une voix d’une intensité et d’une profondeur remarquables. Son interprétation du père de famille qui cherche à protéger les siens pour le meilleur et pour le pire a tout à fait montré le caractère à la fois complexe et tragique du personnage.

Il faut finalement souligner l’important travail du chef Jordan de Souza qui a manié la prestation avec une main de maître. Alors que les chanteurs et les musiciens de l’Orchestre Métropolitain ont effectué des entrées qui n’étaient parfois pas tout à fait précises, Souza a su ramener chaque fois de l’ordre sur scène et dans la fosse. Malgré les quelques notes imprécises des violons dans l’ouverture, puis dans l’interlude de l’Acte 3, l’orchestre, dans son ensemble, a rendu la riche partition de Verdi avec puissance et sensibilité. Et que dire du brindisi « Libiamo ne’ lieti calici » et de tous les airs du second tableau du deuxième acte qui impliquaient tous les choristes de la production! Les prestations offertes par l’ensemble des interprètes sur scène ont fait partie des moments les plus fabuleux et remarquables de la représentation.

Parmi les opéras les plus joués à travers le monde depuis sa création, La Traviata a toujours de quoi plaire à tous les publics. La production actuellement présentée à l’Opéra de Montréal en est un nouvel et parfait exemple. 

La Traviata

Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave
ORC : Orchestre Métropolitain
CH : Chœur de l’Opéra de Montréal

Production
Opéra de Montréal
Représentation
Salle Wilfrid-Pelletier , 4 mai 2024
Direction musicale
Jordan de Souza
Interprète(s)
Talise Trevigne (Violetta Valéry), Antoine Bélanger (Alfredo Germont), James Westman (Giorgio Germont), Ilanna Starr (Flora Bervoix), Geoffrey Schellenberg (Marquis d’Obigny), Angelo Moretti (Gastone), Chelsea Kolić (Annina), Mikelis Rogers (Baron Douphol), Jean-Philippe McClish (Docteur Grenvil), Jaime Sandoval (Giuseppe)
Mise en scène
Alain Gauthier
Partager: