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CRITIQUE - La Flûte chantée à l’UdeM : Expérience et inexpérience

CRITIQUE - La Flûte chantée à l’UdeM : Expérience et inexpérience

La flûte enchantée, Atelier d’opéra de l’Université de Montréal, 2024
Photographie : Dominick Gravel

Ces représentations du dernier opéra de Mozart marquaient les adieux du chef Jean-François Rivest à l’Atelier d’opéra de l’Université de Montréal. Plus tard au printemps 2024, un ultime concert clora sa collaboration avec l’OUM, qu’il a fondé il y a trente ans. Il dirige ses troupes avec sa fougue habituelle, adoptant parfois des tempos très allants, ce qui s’avère bénéfique pour les airs de Sarastro, mais difficile par instants pour le claviériste chargé d’imiter le glockenspiel. 

À l’inverse, le metteur en scène en était à son tout premier opéra, ce qui pourrait être gage de fraîcheur et d’inventivité. Mais on demeure perplexe devant ses choix de mise en scène, une vision dépouillée à l’extrême, dont on ne sait si on doit l’attribuer à un réel souhait esthétique ou simplement à un manque de moyens. Une proposition aussi épurée comporte le risque de déplaire à tout le monde, ceux qui connaissent bien l’œuvre (et ils sont nombreux) et ceux qui la découvrent. Les premiers sont déçus de ne pas retrouver des éléments qui leur semblent nécessaires et auxquels ils sont habitués, les seconds n’ont pas les clés pour comprendre cette histoire tout de même un peu compliquée.

La scénographie se résume à trois grands écrans, immobiles tout au long de la représentation, une plate-forme à l’arrière-scène et une section de plancher qui monte et descend. Les projections, désormais obligatoires dans les productions d’opéra, dirait-on, devraient servir à suggérer des changements de décor ou d’atmosphère, mais ce n’est pas toujours clair. L’action de La flûte enchantée se déroule dans plusieurs lieux (une forêt, un palais, un temple, etc.), mais à aucun moment on ne sent qu’on passe d’un endroit à l’autre, ce qui n’aide pas à comprendre le déroulement de l’histoire. 

Le serpent monstrueux qu’affronte Tamino au début de l’opéra est simplement suggéré sur les écrans par des volutes ondoyant telle de la fumée de cigarette. Dans ce conte naïf qu’est La flûte enchantée, le serpent géant est habituellement un dispositif, spectaculaire ou rudimentaire, qui fait rire ou frissonner. Mais ces projections abstraites laissent ici trop à la seule imagination du spectateur, et il est difficile d’éprouver une quelconque émotion. Ou même de croire Papageno qui, quelques minutes plus tard, doit sursauter en apercevant le « cadavre » du serpent, alors que la scène est complètement vide. 

Quant aux éléments présents, leur utilisation manque parfois de logique. Ainsi, Papageno siffle au lieu de souffler dans sa flûte, pourtant très accessible, pendue à son cou. Dans les airs mettant en vedette les fameuses clochettes magiques, le personnage ouvre une boîte censée les contenir à un moment, mais ne l’utilise pas à d’autres. 

On constate des illogismes semblables dans les déplacements, avec des personnages qui annoncent leur intention de se cacher, mais restent au beau milieu de la scène, sans qu’on puisse s’expliquer pourquoi. On sent bien, par contre, que le metteur en scène n’a pas voulu nuire au lien entre l’interprète et le chef d’orchestre, mais le procédé va trop loin. Les chanteurs ne se parlent jamais directement, c’est à peine si leurs regards se croisent, même dans les entretiens les plus passionnés. Au moins le metteur en scène a bien enseigné à sa distribution à dire les textes parlés de manière claire et assez naturelle. 

Les costumes surprennent par leur sobriété excessive. À l’exception de la Reine de la nuit et de Sarastro, qui portent des robes éclatantes dignes de leurs personnages, le prince Tamino arbore des teintes noirâtres qui le distinguent bien peu de Papageno ou même de Monostatos. L’Orateur porte une soutane noire avec un chapeau de mafieux, les trois dames des voiles colorés transparents, si bien que le spectateur ne saisit pas dans quel univers on cherche à l’entraîner. 

Heureusement, la musique de Mozart plane au-dessus de tous ces questionnements. Les jeunes artistes se sont montrés sérieux et appliqués, sans toutefois maîtriser complètement ces rôles exigeants. Pamina se démarque par une aisance plus évidente que ses collègues. Papageno a l’air de bien s’amuser, les maladresses du chanteur servant le comique du personnage. La Reine de la nuit lance ses suraigus avec assurance, mais bénéficierait d’un surcroît d’autorité. Comme toujours dans La flûte, Papagena arrive à voler la vedette avec ses courtes interventions, toutes en charme et en drôlerie.

La flûte enchantée, Atelier d’opéra de l’Université de Montréal, 2024
Photographie : Dominick Gravel

La flûte enchantée

Opéra (Singspiel) en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret d’Emmanuel Schikaneder
ORC : Orchestre de l’Université de Montréal

Production
Atelier d'opéra de l'Université de Montréal
Représentation
Salle Claude-Champagne , 29 février 2024
Direction musicale
Jean-François Rivest
Interprète(s)
Brenden Friesen (Sarastro), Marion Germain (Reine de la nuit), Maud Lewden (Pamina), Daphnée Brideau (Première Dame), Maïlys Arbaoui-Westphal (Deuxième Dame), Julie Boutrais (Troisième Dame), Emmanuel Raymond (Tamino), Jean-Philippe Laroche (Officiant), Justin Domenicone (Papageno), Kevisha Williams (Papagena), Andoni Iturriria-Machinandiarena (Monostatos)
Mise en scène
Patrick R. Lacharité
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