Critiques

CRITIQUE - Regards sur le passé, entre joie et nostalgie

CRITIQUE - Regards sur le passé, entre joie et nostalgie

Pulcinella, Orchestre symphonique de Laval, 2024
Photographie : Annie Diotte

La période dite néoclassique d’Igor Stravinski ne fait pas toujours l’unanimité, tant chez les auditeurs que chez les spécialistes. Cela explique peut-être pourquoi ce répertoire est moins connu, voire ignoré. Et c’est bien dommage, car il comporte des trésors qui ne demandent qu’à être (re)découverts et appréciés. C’est pourquoi l’interprétation du ballet intégral Pulcinella proposé par l’Orchestre symphonique de Laval était ici un événement à ne pas manquer, et une véritable rareté sur nos scènes musicales.

Quiconque fréquente assidûment les concerts symphoniques a peut-être eu la chance d’entendre la Suite (datant de 1922, mais remaniée en 1949), œuvre qui est occasionnellement programmée. Cependant, le ballet complet, datant de 1919, n’a clairement pas connu la même fortune que PetrouchkaL’Oiseau de feu ou Le Sacre du printemps. L’œuvre mérite plus de considération car elle regorge d’inventivité, et ce malgré son inspiration tournée vers le passé qui pourrait présager le contraire.

Stravinski emprunte à Pergolèse non pas la musique de son sublime Stabat Mater, mais bien les délicieuses et malicieuses musiques comiques de ses opera buffa. Choix judicieux puisque l’argument du ballet mets en scène le personnage de Polichinelle et raconte ses aventures dans le plus pur esprit la commedia dell’arte. Loin d’être un arrangement de la musique du compositeur baroque, la partition de Stravinski revêt un caractère loufoque, voire ironique, qui donne un relief nouveau et captivant à ces mélodies anciennes. Le génie du compositeur se déploie dans une orchestration étonnante, car malgré les effectifs réduits, les sonorités sont rutilantes et audacieuses ! C’est d’ailleurs grâce à la vivacité de la section des vents que l’interprétation musicale a connu un dynamisme convaincant. Andrei Feher a su donner une cohérence à ce monde carnavalesque, sorte de mise en abyme musicale couplée à un niveau d’humour un peu tordu, goguenard, mais toujours captivant pour l’auditeur. 

Bien que Pulcinella ait pour soutire ballet avec chant, la présence des trois solistes vocaux n’est pas d’ordre dramatique. Les chanteurs sont intégrés à l’orchestre et ne participent pas au spectacle scénique. De plus, ils ne chantent pas dans l’ensemble du ballet, mais seulement dans quelques mouvements. Ce traitement pratiquement instrumental de la voix rend leur présence presque anecdotique : ils ne sont pas des solistes invités mais, pour ainsi dire, des musiciens de l’orchestre, pratiquement aussi importants que la flûte ou le cor ! Néanmoins, on y retrouvait avec grand plaisir le talent naturel et agile de Dominique Côté, le timbre chaleureux et envoûtant de Caroline Gélinas et l’art coloré et vivant de Mishael Eusebio.

Pulcinella, Orchestre symphonique de Laval, 2024
Photographie : Annie Diotte

Mais le clou de la soirée, et le délice des spectateurs, était carrément la performance du ballet par une petite équipe de cinq danseurs exécutant la chorégraphie imaginée par Marie-Nathalie Lacoursière et Stéphanie Brochard, spécialistes de la danse baroque. Ce divertissement sans prétention autre que le plaisir était interprété avec vivacité, notamment par Pierre-François Dollé qui incarnait le rôle-titre avec une vaste gamme d’émotions. Les magnifiques costumes et masques caractéristiques complétaient à merveille ce tableau visuel vivifiant, le remède idéal pour contrer la morosité du mois de janvier ! Présenté dans le cadre du Festival classique hivernal de l’OSL, on se plaît à imaginer de nouvelles propositions de cette formule attrayante pour les futures éditions.

En première partie, Andrei Feher a dirigé avec un goût sûr et une vision noble la troisième suite des Airs et danses anciens de Respighi ainsi que la suite Au temps de Holberg de Grieg, conférant à la première œuvre un ton solennel approprié et, pour la deuxième pièce, toute la nostalgie typiquement nordique qui s’y rattache. L’orchestre à cordes aurait gagné à être un peu plus fourni, sa sonorité un peu mince nous a laissés sur notre faim. Néanmoins, cette première partie, toute en cohérence avec le ballet de Stravinski, était un complément de programme aussi intelligent qu’agréable à l’écoute.

L’OSL offrait ainsi une soirée tout à fait plaisante et agréable. Un spectacle dynamique où tournoyaient couleurs et mouvements, teinté de joie et d’une légère nostalgie, mais surtout riche de plaisir autant pour les yeux que pour les oreilles.

Andrei Feher dirige Pulcinella

DANS : Marie-Nathalie Lacoursière, Stéphanie Brochard, Pierre-François Dollé, Dorothéa Ventura et Anne Marie Gardette
ORC : Orchestre symphonique de Laval

Production
Orchestre symphonique de Laval
Représentation
Salle André-Mathieu , 24 janvier 2024
Direction musicale
Andrei Feher
Interprète(s)
Caroline Gélinas (mezzo-soprano), Mishael Eusebio (ténor), Dominique Côté (baryton)
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