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CRITIQUE - Sortilegio, mauvais sort à l’opéra

CRITIQUE - Sortilegio, mauvais sort à l’opéra

Sortilegio, 2023
Photographie : Gracieuseté Sortilegio

La jeune et ambitieuse metteure en scène Vivianne Delorme présentait son opéra Sortilegio à quelques jours de lHalloween, dans une soirée où le public était convié à venir costumé. Pour un opéra au sujet fantastique, lidée saccommode bien de ce rapprochement dans le calendrier !

Vous avez bien lu, il sagit bien de lopéra de Vivianne Delorme, librettiste, metteure en scène et co-productrice du spectacle. Cet opéra est sa création. Le concept de Sortilegio puise à celui du pasticcio de lépoque baroque, qui consiste à assembler des airs puisés dans dautres opéras, auxquels se greffe de la musique originale, le tout sous légide dun nouveau livret. Poursuivant logiquement cette idée du pastiche, le livret puise aux sources des récits fantastiques et gothiques de lépoque romantique (lesprit de Bram Stoker, ou même de Mary Shelly, nest pas loin !).

On comprend vite que le concept du pastiche sapplique à lensemble de lœuvre : hommage aux opéras du XIXe siècle, à sa structure, à sa façon de raconter une histoire, à sa musique. Il est bel et bien question ici de faire un opéra comme on le faisait avant. Cest un exercice de style bien réfléchi que Vivianne Delorme a réalisé : elle comprend assurément les rouages du genre et les conventions de lopéra romantique.

La partition est certes signée par Elizabeth Raum et Giancarlo Scalia (qui a composé les récitatifs), mais lœuvre est construite sur un collage dextraits dopéras allant de Lully à Massenet, de Purcell à Boito. Le programme de soirée dénombre 13 numéros cités ou intégrés – partiellement ou totalement – au spectacle, mais utilisant le nouveau texte établi pour ce livret original. On est heureux que le choix de ces numéros préexistants soit varié et quil sorte des sentiers battus : quand a-t-on loccasion dentendre la musique de Dargomyjski, MarschnerMoniuszkoou encore de Rubinstein ?

Il faut assurément un certain talent pour unifier stylistiquement cette sélection dairs allant du baroque au romantique. En ce sens, les interludes citant un extrait du Winterreise de Schubert sont bien troussés et pourraient faire lobjet dune agréable pièce de concert, dans le genre Paraphrase sur un thème de Schubert. Cependant, il faut admettre que lapport de la musique originale nest pas original et que cette dernière lasse vite lauditeur.

Barbara Kits (Machiavella), Sortilegio, 2023
Photographie : Mario Leblanc

Au final, on se demande bien pourquoi faire un opéra ainsi. Lexercice peut paraître intéressant, mais le résultat ennuiprofondément. Lhistoire, qui a un certain potentiel, est lourdement affectée par la structure du livret à numéros, en plus de connaître des longueurs accablantes (il y a trois heures de musique !), dêtre parasitée par des intrigues secondaires et de présenter un trop grand nombre de personnages qui ne sont pas tous du même intérêt. Nous sommes au XXIe siècle ! Les conventions du théâtre et de la musique dil y a 200 ans ont bien changé, et si on choisit de les adopter dans une création contemporaine, il faudrait que la démarche se réalise au regard de lhistoire, dun point de vue parodique ou critique, mais pas de façon gratuite, vide de sens.

Cest bien dommage, car on sent quil y a beaucoup de talents mobilisés et beaucoup de volonté pour faire lever la soirée. Or, il ny a pas dœuvre à faire lever. On salue bien bas la distribution qui était entièrement dévouée à la réalisation du spectacle. Du lot émerge Barbara Kits qui a brillé dans lair extrait de Der Vampir de Marschner. On notera aussi lélégance tant musicale que scénique de Bryan Murray, ainsi que le sens comique bien aiguisé de Charles Brocchiero. Et pour rester dans lesprit de lHalloween, la production sest aussi démarquée par ses nombreux et magnifiques costumes.

Créer un opéra pastiche, aujourdhui, est-ce une fausse bonne idée ? Peut-être. Disons que le concept na pas été développé à son meilleur.

Sortilegio

Opéra en quatre actes d’Elizabeth Raum et Giancarlo Scalia, sur un livret de Vivianne Delorme

Production
Sortilegio
Représentation
Salle Pierre-Mercure , 28 octobre 2023
Direction musicale
Véronique Lussier
Interprète(s)
Barbara Kits (Machiavella), Bryan Murray (Malcom), Jorge Eleazar Alvarez Mora (William Phinéas), Amelia Keenan (Louisa Horacio), Nils Brown (Albert Ortens), Adrian Rodriguez (Ernest Marion), Charles Brocchiero (Jacques), Kripa Nageshwar (secrétaire du maire), Anne Marie Sheridan (Melva Phinéas), Jaime Sandoval (Édouard Phinéas), Maxime Martin-Vo (Gérard Phinéas), Tai Collins (Maurice Phinéas), Ricardo Galindo (Antonin Phinéas), Réal Robitaille (M. Bramand)
Mise en scène
Vivianne Delorme
Pianiste
Elisabeta Cojocaru et Pascale Verstrepen
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