CRITIQUE - Sonate 1704 à Terrebonne : L’héritage baroque du Québec
Anne-Marie Beaudette, Grande fête chez la seigneuresse de Terrebonne, par Sonate 1704, 2023
Ça m’étonne toujours un peu de voir la surprise dans le visage de mes interlocuteurs lorsque j’affirme que le Québec est la province nord-américaine de la musique ancienne. Les « Ah bon ? » et autres interrogations revigorent ma détermination personnelle à rendre cette musique accessible au plus grand nombre. Je l’écrivais déjà dans une précédente critique lors de la venue d’Hervé Niquet à la salle Bourgie : « Combien d’autres œuvres laissons-nous sur les étagères sans les offrir à nouveau à des oreilles curieuses ? ». Mais j’aurais aussi pu demander « combien d’amateurs de musique ancienne perdons-nous en limitant les concerts à Montréal ou Québec? »
Je connais au moins une autre personne qui se pose cette question. Venant moi-même d’un petit village des Hautes-Laurentides, j’ai eu la chance d’entendre des concerts de musique baroque mettant en avant le violoniste Olivier Brault au début des années 2000. Il est évident aujourd’hui que cette rencontre a eu un impact déterminant sur ma vie, et je salue toutes les initiatives qui permettent aux régions d’offrir un accès à une programmation de spectacles variée.
En matière d’initiatives d’accès à la culture baroque du Québec, on trouve difficilement plus engagé qu’Olivier Brault. C’est la tête chargée de ces réflexions que je me suis dirigé, le dimanche 29 octobre, au Théâtre du Vieux-Terrebonne pour le concert Grande fête chez la seigneuresse de Terrebonne offert parl’ensemble Sonate 1704.
Pour l’occasion, le directeur avait réuni une belle équipe pour présenter du répertoire entendu en Nouvelle-France, présence attestée lors de recherches menées par les musicologues Élisabeth Gallat-Morin et Jean-Pierre Pinson. On découvre avec plaisir des airs traditionnels comme des cantates ou des motets, mais aussi des extraits d’opéras. Les musiciens de l’époque devaient évidemment utiliser leur ingéniosité pour être en mesure d’interpréter cette musique d’orchestre avec un effectif réduit, et c’est exactement ce que nous a proposé Sonate 1704. Le concert nous a donné une parfaite représentation de ce qu’aurait pu être un concert privé de l’époque en ne sacrifiant aucune des lignes musicales, mais en ne pourvoyant qu’un instrument par partie.
Il convient de souligner la grande complicité du noyau de l’ensemble. Mélisande Corriveau brille lors d’un extrait de Marin Marais et Dorothéa Ventura offre trois superbes numéros du Livre d’orgue de Montréal à l’épinette. Pour les dessus, Grégoire Jeay et Olivier Brault forment un duo parfait pour ce concert, leur amitié et leur plaisir à jouer ensemble étant perceptibles même assis dans la dernière rangée.
Au chapitre du chant, c’est la soprano Anne-Marie Beaudette qui interprétait une cantate de Clérambault, un extrait de motet de Nicolas Bernier, ainsi que des extraits d’Armide et du Roland de Lully. Le motet est délicieux, surtout avec le serpent qui tient la partie de basse, conformément à son utilisation historique au Québec dans les services religieux. Mme Beaudette m’a confié avoir conservé son énergie toute la semaine, elle qui combattait un virus. Si on distingue un léger voile sur sa voix lors de la première pièce du concert, le voile s’estompe dès la deuxième. C’est véritablement lors des morceaux de Lully que l’on a pu apprécier toute l’aisance de sa voix. Mme Beaudette possède une prononciation ciselée et une familiarité avec le genre de la déclamation et avec le style du Grand Siècle, preuve manifeste de sa formation au Centre de musique baroque de Versailles et de sa carrière en France avec des chefs comme Vincent Dumestre ou Raphaël Pichon.
Marie-Nathalie Lacoursière signait la chorégraphie des menuets, contredanses et rigaudons qui ont fait grande impression sur le public. La passacaille d’Armide, normalement pour Haute-Contre, a clos le spectacle avec aplomb et majesté, réunissant les prouesses vocales de la soprano dans les aigus, l’éloquence de l’ensemble instrumental et la poésie de Mme Lacoursière, créant ainsi un bouquet final tout en finesse.
Félicitations à Sonate 1704 et au Théâtre du Vieux-Terrebonne pour cet évènement. On espère que cette collaboration donnera lieu à de futurs spectacles du même calibre.
Grande fête chez la seigneuresse de Terrebonne !
ENS : Sonate 1704
CHOR : Marie-Nathalie Lacoursière
- Production
- Sonate 1704
- Représentation
- Théâtre du Vieux-Terrebonne , 29 octobre 2023
- Direction musicale
- Olivier Brault
- Interprète(s)
- Anne-Marie Beaudette (soprano)