Critiques

CRITIQUE - Ariella ou l’amour vainqueur de la mort

CRITIQUE - Ariella ou l’amour vainqueur de la mort

Myriam Leblanc (Ariella)
Photographie : Dominic Blewett

C’est à une soirée riche en contrastes que nous conviaient l’Ensemble Classico-Moderne et son chef Francis Choinière avec ce concert d’abord donné à Toronto (Koerner Hall) le 22 octobre, puis repris à Montréal et à Québec (Palais Montcalm). En première partie, le piano était à l’honneur avec l’interprétation pleine de fougue et de passion du Concerto pour piano nº 2 de Rachmaninov par Jean-Philippe Sylvestre. Dans une forme éblouissante, le pianiste a traduit de façon éloquente aussi bien la nostalgie poignante que l’ardeur triomphante qui termine l’œuvre en apothéose. En guise de rappel, le dernier mouvement (precipitato) de la Sonate nº 7 de Prokofiev a offert une nouvelle démonstration on ne peut plus brillante deéminentes qualités de virtuose de Sylvestre.

Après l’entracte, le public pouvait découvrir neuf extraits substantiels d’Ariella, premier opéra de Jaap Nico Hamburger. Né à Amsterdam, ce dernier est compositeur en résidence depuis 2019 chez Mécénat Musica, programme culturel montréalais. Le titre de l’ouvrage provient de l’autrice néerlandaise AriëllaKornmehl, dont l’univers romanesque, et en particulier La Famille Goldwasser, a profondément marqué le musicien. À l’exception de la première aria de Sarah (personnage de la mèreAline Kutan), chantée en allemand, le livret a été écrit par Thomas Beijer en anglais, choix probablement motivé par le fait que la création scénique doit avoir lieu à New York à l’automne 2024. Très introspective, l’œuvre montre comment le mari (DavidEric Laporte) et ses deux enfants (Ariella, Myriam Leblanc et EzraEnzo Sabbagha) parviennent graduellement à apprivoiser l’absence de Sarah. Bien que décédée, cette dernière tient le rôle principal, du moins dans les extraits choisis dans le cadre du concert. Bienveillante, protectrice et profondément aimante, son âme veille sur les membres de sa famille d’abord plongés dans le plus total désarroi. 

Enzo Sabbagha (Ezra)
Photographie : Dominic Blewett

Ce sont d’abord les magnifiques envolées d’un lyrisme généreux de Sarah que l’on retient d’une partition très accessible et souvent fort émouvante. De toute évidence, Hamburger sait fort bien composer pour la voix, qu’il fait se déployer par-dessus un tissu orchestral d’un beau raffinement. Tour à tour dévastés, désemparés puis finalement rassérénés, les différents membres de la famille interpellent la matriarche, dont la voix s’entremêle à la leur par-delà la mort en de saisissants ensembles. Le plus remarquable de ceux-ci est le duo avec Ezra, le jeune fils qui clame sa douleur en se lançant dans un rap d’une force expressive peu commune, tandis que la voix de sa mère tente de percer à travers le déchaînement orchestral. Particulièrement rythmé, ce passage apporte un changement d’atmosphère bienvenu dans une partition globalement réussie, mais qui, en raison d’un livret au propos redondant, ne peut offrir une grande variété d’ambiances.

Sous la direction sensible de Francis Choinière, l’Ensemble Classico-Moderne a proposé une interprétation soignée et particulièrement convaincante de l’opéra. Avec son timbre angélique, son legato de rêve et la souveraine délicatesse de son chant, Aline Kutan est une Sarah idéale qui marque durablement les esprits. Myriam Leblanc campe pour sa part une Ariella touchante, totalement investie dans son personnage et aux moyens impressionnants. Dans le rôle de David, Eric Laporte rend palpable la douleur du mari inconsolable, tandis que le chanteur populaire Enzo Sabbagha est superbe dans son rap (avec micro), mais peine à se faire entendre dans le quatuor final. Après cette découverte partielle, il reste maintenant à souhaiter que la création de la version intégrale d’Ariella puisse confirmer l’impression positive de ce concert.

ARIELLA & Le Concerto pour piano nº 2 de Rachmaninov

Extraits de l’opéra Ariella de Jaap Nico Hamburger et le Concerto pour piano nº 2 de Rachmaninov
ORC : Ensemble Classico-Moderne

Production
Productions GFN ; Ensemble Classico-Moderne
Représentation
Maison symphonique , 28 octobre 2023
Direction musicale
Francis Choinière
Interprète(s)
Aline Kutan (Sarah), Myriam Leblanc (Ariella), Eric Laporte (David), Enzo Sabbagha (Ezra)
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