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CRITIQUE - À l’OSQ : Une belle mosaïque sonore !

CRITIQUE - À l’OSQ : Une belle mosaïque sonore !

Photographie : Marc-Eric Baillargeon

Pour le jour de la Toussaint, Clemens Schuldt a convié le public à ce qu’il a présenté, dans un excellent français, comme un « voyage émotionnel » : la première partie du concert comprenait trois œuvres très différentes, interprétées sans interruption, l’auditoire ayant été prié de réserver ses applaudissements pour la fin. La seconde était consacrée au plat de résistance, la Grande messe inachevée, en do mineur, de Mozart. Comme toujours, les concerts avec le Chœur symphonique de Québec permettent de remplir la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre, et l’on ne peut que s’en réjouir, après ces quelques années difficiles. 

Deux courtes œuvres pour chœur encadraient la Sinfonia da requiem opus 20 de Benjamin Britten : de quoi former une curieuse mosaïque musicale. L’Ave verum corpus de Mozart a fait ressortir l’homogénéité et la ferveur du Chœur symphonique de l’OSQ et des cordes à travers de subtiles nuances. Pleine de délicatesse, la célèbre Pavane de Gabriel Fauré, qui an mis en valeur la flûte de Jacinthe Forand, était présentée dans la version avec chœur. S’il n’y a rien à redire côté interprétation, quand une œuvre est chantée en français, j’aime pouvoir comprendre et suivre les paroles, ce qui n’a pas toujours été le cas.

Entre ces deux pages contemplatives, l’étonnante Sinfonia da requiem pour orchestre de Britten, composée en 1939 pour souligner les 2600 ans de la dynastie impériale japonaise. Le caractère tragique, la violence de certains passages et les titres des trois mouvements, empruntés au requiem latin (LacrymosaDies IraeRequiem aeternam) n’avaient pas été du goût des commanditaires, qui refusèrent l’œuvre. 

Cette symphonie de jeunesse de Britten reflète surtout l’inquiétude qui habite l’Europe à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Elle fait appel à de nombreux bois et cuivres, ainsi qu’à un renfort de cordes, si bien que la scène du Grand Théâtre était aussi remplie que pour une symphonie de Richard Strauss ou de Gustav Mahler ! Clemens Schuldt l’a dirigée avec beaucoup d’efficacité et de clarté. D’entrée de jeu, d’impressionnants coups de timbales ont donné le ton au « Lacrymosa », un mouvement riche en formules obstinées et en séquences mélodiques. Dans le très coloré et virtuose « Dies Irae », un scherzo brillamment défendu par les musiciens de l’OSQ, Schuldt s’est dépensé sans compter pour faire ressortir les nombreuses réparties des instruments. De même a-t-ilconféré au « Requiem aeternam », une berceuse aux réminiscences mahlériennes, toute la paix que sous-entend le titre du mouvement.

La Grande messe en do mineur, K. 427, est une des œuvres sacrées les plus troublantes de Mozart et se situe à une époque cruciale de sa vie : son installation définitive à Vienne, son mariage à 26 ans avec la cantatrice Constance Weber et le choc esthétique que provoqua chez lui l’approfondissement de l’art de Bach et de Haendel. Passant allègrement d’un savant contrepoint baroque au plus pur style d’opéra, cette messe monumentale, reflétant les remises en question de son compositeur, resta inachevée.

Krisztina Szabó (mezzo-soprano), Magali Simard Galdès (soprano), Andrew Haji (ténor) et Philippe Sly (baryton-basse), Orchestre symphonique de Québec, 2023
Photographie : Marc-Eric Baillargeon

C’est un orchestre allégé, par rapport à la première partie du concert, qui nous a fait entrer dans le recueillement et la solennité du « Kyrie » entonné majestueusement par un chœur imposant. Le « Christe eleison » a permis de retrouver la soprano Magali Simard-Galdès, qui nous avait enchantés l’été dernier dans la Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Christian Thomas. Si elle m’a paru un peu réservée dans son approche de ce mouvement vocalement exigeant, et si ses notes graves manquaient d’étoffe, elle a fait preuve de délicatesse et de sensibilité et s’est livrée à de beaux dialogues avec le chœur. Le sommet de ce concert fut atteint avec l’aérien « Et incarnatus est » du « Credo » : ce quatuor pour soprano, flûte, hautbois et basson, délicatement soutenu par les cordes, avait quelque chose d’immatériel. Dans la cadence conclusive, Magali Simard-Galdès, admirablement contrepointée par Jacinthe Forand (flûte), Philippe Magnan (hautbois) et Marlène Ngalissamy (basson), s’est vocalement et musicalement surpassée, nous plongeant dans un état de grâce qu’on ne voulait plus quitter.

La mezzo-soprano Krisztina Szabó s’est distinguée dans le « Laudamus te »du « Gloria » : la voix, à la fois riche et légère passe la rampe sans effort. Les généreuses vocalises couvrant deux octaves sont lancées en souplesse, ainsi que les sauts d’intervalles parfois acrobatiques qui faisaient oublier à Mozart qu’il composait une messe et non un opéra !

Magali Simard-Galdès et Krisztina Szabó ont formé un duo très équilibré dans le « Domine Deus » du « Gloria ». Le ténor Andrew Haji leur a solidement donné la réplique dans le« Quoniam tu solus sanctus », et ce n’est que dans le « Benedictus » en quatuor du « Sanctus » que le baryton-basse Philippe Sly a pu enfin nous faire profiter de son timbre velouté.

Venons-en aux chœurs : la formation, toujours bien préparée par David Rompré, avait fort à faire avec les nombreuses interventions à la Haendel que Mozart avait prévues dans sa messe, du « Kyrie » à l« Hosanna » du « Sanctus ». Le chœur initial du « Gloria » avait l’ampleur voulue ; le sombre « Qui tollis », avec ses jeux dramatiques de nuances et ses lignes vocales qui s’étirent au-dessus d’un orchestre en notes pointées, était de toute beauté, de même que le martial « Credo » qui parachute Jésus sur terre (« descendit de caelis »), juste avant l« Et incarnatus est »

Dans les magistrales doubles fugues du « Gloria » (« Cum sancto spiritu ») et du « Sanctus », on a pu sentir une certaine nervosité du chœur, qui s’est traduite par quelques hésitations et bousculades dans les exigeantes vocalises, le tout promptement contrôlé par Schuldt. Mais ce ne sont finalement que des détails face à la passion et à l’enthousiasme qui animaient le Chœur symphonique.

L’Orchestre symphonique de Québec s’est révélé à la hauteur de nos attentes. Clemens Schuldt s’est livré à une véritable chorégraphie gestuelle, expressive et détaillée, pour tenir tout en place : rien d’inutile, tout était pensé, précis, et montrait sa connivence avec les solistes, le chœur et l’orchestre.

Œuvres de Mozart, Britten et Fauré

ORC : Orchestre symphonique de Québec
CHO : Chœur de l’Orchestre symphonique de Québec

Production
Orchestre symphonique de Québec
Représentation
Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec , 1 novembre 2023
Direction musicale
Clemens Schuldt
Interprète(s)
Magali Simard Galdès (soprano), Krisztina Szabó (mezzo-soprano), Andrew Haji (ténor), Philippe Sly (baryton-basse)
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