Critiques

Photographies: respectivement Tam Photography et Pierre-Étienne Bergeron

Mercredi le 11 octobre dernier avait lieu, dans la superbe salle Bourgie, la création posthume du Chant pour un Québec lointain, cycle de mélodies composé par Rachel Laurin sur des poèmes de l’écrivaine québécoise Madeleine Gagnon. Création posthume, puisque la compositrice est malheureusement décédée en août dernier tout juste avant l’interprétation de son œuvre par le baryton Marc Boucher et le pianiste – et directeur artistique de la Salle Bourgie – Olivier Godin. Il s’est ainsi agi d’un événement au caractère bien spécial : le concert a été dédié, comme l’a précisé Godin avant d’entamer le cycle, à la compositrice. De plus – et nous l’avons seulement appris à la toute fin du concert – il s’agissait du dernier récital de Marc Boucher, qui a livré un discours rempli d’émotions à la suite de sa performance. Grande soirée musicale, donc, à la Salle Bourgie le 11 octobre.

Ça n’est pas tous les jours qu’un cycle de mélodies aussi volumineux (14 mélodies pour une durée d’environ 60 minutes) est créé sur une scène québécoise. Il est donc déplorable que cet événement ait eu lieu devant un public aussi peu nombreux. C’est dans une ambiance plutôt intime que Boucher et Godin se sont livrés à leur interprétation, dont la richesse et la qualité étaient hors norme. On s’y attendait, cependant, en voyant réunis ces deux noms sur le programme – et ils n’ont pas déçu !

Le recueil Chant pour un Québec lointain est paru en 1990. Abordant plusieurs thématiques parmi lesquelles domine la nature, cet ouvrage a valu à Gagnon le Prix du Gouverneur général du Canada en 1991. Si l’œuvre a ainsi reçu une grande reconnaissance, elle n’en est pas pour autant facile à déchiffrer lors d’une première écoute, voire d’une unique écoute. Bien que le programme ait donné accès à l’ensemble des textes durant la performance, l’addition des poèmes de Gagnon à la musique tantôt douce, tantôt poignante, mais somme toute harmoniquement assez complexe de Laurin a résulté en une œuvre à certains moments difficile d’approche.

De grands honneurs reviennent aux interprètes, qui, par leur immense talent, ont fait de cette création une réussite. Franchement, s’il était difficile pour Marc Boucher de conserver sa justesse à l’aide d’un accompagnement aussi dense harmoniquement, ça n’a jamais paru. On le sentait en pleine maîtrise de ses moyens, de même que de son instrument, mais surtout habité par les textes qu’il a déclamés avec une élégante clarté. Interprète des plus chevronnés, Olivier Godin a quant à lui insufflé une grande musicalité à la partition de Laurin. Dans les passages doux qui rappelaient par moment certaines œuvres de Debussy, comme dans les instants plus foudroyants, on le sentait en pleine communion avec le baryton, ce qui ajoutait une grande profondeur au récital. Seul bémol, si l’on doit en souligner un : la balance sonore n’était pas toujours optimale entre la voix et le piano – ce dernier enterrant parfois le baryton durant des passages très forte ou à déclamation très rapide.

Marc Boucher a ainsi admirablement tiré sa révérence du récital. Il est à souhaiter qu’il continue de s’impliquer sur la scène lyrique, en poursuivant la belle entreprise que constitue le Nouvel Opéra Métropolitain ou en dirigeant, qui sait, une autre intégrale de mélodies. Quant à l’œuvre de Laurin et Gagnon, il n’a qu’à espérer qu’elle pourra être endisquée; ce qui lui permettrait d’être réécoutée, analysée, et ainsi de rendre plus accessible toute la richesse qu’elle contient.