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CRITIQUE - Au Festival d’opéra de Québec, Roméo et Juliette revisité avec goût

CRITIQUE - Au Festival d’opéra de Québec, Roméo et Juliette revisité avec goût

Christophe Gay (Mercutio) et Loïc Félix (Tybalt) dans Roméo et Juliette, Opéra de Québec, 2023
Photographie : Catherine Charron-Drolet

Le 12e Festival d’opéra de Québec, qui s’est déroulé du 23 juillet au 2 août, a misé sur une programmation entièrement en français, avec trois opéras, dont la création de l’émouvante Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Christian Thomas à partir de la pièce éponyme de Michel Tremblay. Sur une note plus conventionnelle, le public s’est vu offrir Roméo et Juliette de Charles Gounod, œuvre qui n’avait pas été représentée à l’Opéra de Québec depuis 2007. La publicité annonçait une « étonnante mise en scène », celle du Français Pierre-Emmanuel Rousseau. Autant certaines versions « revisitées » peuvent être sacrilèges et dénaturer un opéra, autant une regard différent, intelligent, respectueux et sensible, peut enrichir le spectateur et apporter une nouvelle dimension à une œuvre lyrique qu’on croyait connaître par cœur. C’est ce cadeau qui a été fait au public québécois. 

Pierre-Emmanuel Rousseau a l’habitude de signer la mise en scène, les décors et les costumes des opéras qui lui sont confiés. Son Roméo et Juliette a eu pour cadre trois grands murs avec une perspective inversée, occupant tout l’espace de la scène du Grand Théâtre : ce décor dépouillé, agrémenté de quelques accessoires tenait lieu de maison des Capulet, de chapelle du frère Laurent, de scène de combat entre Capulet et Montaigu, et de tombeau de Juliette. Point de balcon pour faire rêver la demoiselle. Une simple fenêtre suffit… Rousseau a transposé l’action au milieu du XIXe siècle, en pleine révolution industrielle, opposant le confort bourgeois des Capulet au terril minier des Montaigu.

Hélène Carpentier (Juliette) et Thomas Bettinger (Roméo) dans Roméo et Juliette, Opéra de Québec, 2023
Photographie : Catherine Charron-Drolet

Dès le prologue, le chœur, vêtu de noir, glace le spectateur tant il a l’air sinistre. Durant tout l’opéra, ces hommes en queue de pie et chapeaux hauts-de-forme, ces femmes en robes très sombres nous rappelaient sans cesse que le bal chez les Capulet et le mariage arrangé de Juliette n’avaient qu’une seule issue : la mort. L’élégante robe rouge de Juliette, seule lumière au milieu de ces « croque-morts », n’avait-elle pas, finalement, la couleur du sang ?

Une excellente distribution, dont les rôles principaux étaient confiés à des chanteurs français, a mis en valeur le ténor Thomas Bettinger, le Faust de l’an dernier sur la même scène : une voix souple, tour à tour puissante et nuancée, qu’il faisait bon écouter dans l’air de l’acte II, « Ah! Lève-toi soleil ». La basse Patrick Bolleire, qui avait été, à ses côtés, un impressionnant et redoutable Méphisto, a revêtu cette année la soutane du Frère Laurent, un rôle qu’il a servi avec expression et autorité. 

On aurait souhaité plus d’insouciance et de spontanéité, et une diction plus nette chez la jeune soprano Hélène Carpentier, dans la célèbre valse de Juliette, « Je veux vivre ». Nettement plus à l’aise dans ses autres airs, elle a démontré un beau potentiel vocal et dramatique, montrant le caractère déterminé et la passion de la jeune fille prête à tout pour échapper au mariage que sa famille veut lui imposer. Ses duos d’amour avec Bettinger étaient d’une grande intensité, ainsi que la scène au tombeau. 

Deux belles découvertes avec le baryton Christophe Gay (Mercutio), et le ténor Loïc Félix (Tybalt), vocalement et scéniquement bouillants à souhait. Il fallait les voir se livrer un duel athlétique à l’acte III !

Côté québécois, excellents choix que ceux de Marie-Andrée Mathieu en Stéphano, ce jeune page qui passe un mauvais quart d’heure aux mains des Capulet après avoir délicieusement chanté son air « Que fais tu, blanche tourterelle », et de Rose Naggar-Tremblay en Gertrude, la nourrice de Juliette, sans oublier leurs partenaires masculins, notamment Tomislav Lavoie (l’autoritaire comte Capulet) et Robert Huard (le duc de Vérone, qui condamne Roméo à l’exil). 

Le chœur, préparé par Réal Toupin, a été remarquable, et le metteur en scène a assuré habilement ses déplacements et ses interventions, réduisant le bal chez les Capulet à quelques esquisses de pas de danse, et donnant à la scène du mariage de Juliette des allures de funérailles.  L’orchestre a fait merveille sous la direction précise et inspirée de Laurent Campellone, qu’on avait pu voir à l’œuvre l’automne dernier dans Don Pasquale

Hélène Carpentier (Juliette) dans Roméo et Juliette, Opéra de Québec, 2023
Photographie : Catherine Charron-Drolet

Roméo et Juliette

Opéra en cinq actes de Charles Gounod sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré
ORC : Orchestre symphonique de Québec
CHO : Chœur de l’Opéra de Québec

Production
Festival d'opéra de Québec
Représentation
Grand Théâtre de Québec , 30 juillet 2023
Direction musicale
Laurent Campellone
Interprète(s)
Hélène Carpentier, soprano; Marie-Andrée Mathieu, mezzo-soprano; Rose Naggar-Tremblay, contralto; Thomas Bettinger, Loïc Félix, Dominique Gagné, Louis-Charles Gagnon, ténors; Christophe Gay, Robert Huard, barytons; Marc-André Caron, baryton-basse; Patrick Bolleire, Tomislav Lavoie, basses;
Mise en scène
Pierre-Emmanuel Rousseau
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