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CRITIQUE - L’inéluctable destin de Madama Butterfly

CRITIQUE - L’inéluctable destin de Madama Butterfly

Joyce El-Khoury (Cio-Cio San) et Matthew White (Benjamin Franklin Pinkerton) dans Madama Butterfly, Opéra de Montréal, 2023
Photographie : Vivian Gaumand

C’est le 6 mai dernier qu’avait lieu la première de Madama Butterfly de l’Opéra de Montréal, dont les représentations se tiendront jusqu’au 16 mai prochain. Le célèbre opéra de Puccini a, pour son soir de première, réussi à répondre aux attentes d’un public fort enthousiaste, dans une mise en scène à la fois simple et colorée. 

Créé en 1904, Madama Butterfly est la triste histoire d’amour d’une jeune Japonaise  Butterfly – qui, à peine âgée de 15 ans, est mariée à un lieutenant de l’armée américaine, Benjamin Franklin Pinkerton. Alors que celui-ci ne cherche – disons-le – qu’une forme de tourisme sexuel, la jeune y voit son grand amour, pour lequel elle sacrifie sa famille, sa culture et ses coutumes. De cette « union » naît bien sûr un enfant, dont Pinkerton ne prend connaissance que trois ans plus tard, puisqu’il repart rapidement aux États-Unis dès le mariage officialisé. Après ce qui semble être une attente interminable pour ButterflyPinkerton revient sur les terres du Japon, cette fois accompagné de sa « vraie femme », son épouse américaine. Lorsqu’ils prennent connaissance de l’existence de l’enfant, le couple américain l’emmène en promettant de lui offrir une meilleure vie en Amérique. Anéantie, Butterfly accepte son sort et commet ce qui, à son avis, est le seul acte respectable à faire dans sa situation : le suicide. L’opéra se termine de manière dramatique dans une fin des plus prévisibles pour les opéras de la grande tradition lyrique italienne. 

Bien que l’orientalisme soit manifeste dans le synopsis de l’opéra, la metteuse en scène Stéphanie Havey a vu juste dans sa production de l’opéra en répondant sobrement aux thématiques de l’œuvre par des paysages et des décors associés à la culture japonaise, en ne versant toutefois pas dans un exotisme trop exacerbé. Son idée d’ajouter sur scène les personnages muets de Mme Pinkerton et son fils adoptif, plus âgés, qui observent le déroulement de l’opéra comme si la mère raconte au fils l’histoire d’où il vient est, au final, tout à fait intéressante. Cette présentation a pu permettre pour certains de déconstruire le mythe de l’Asie colonisée imaginée en l’opposant à la domination problématique de l’Occident, portée ici par le rôle du lieutenant. 

Sur la scène, l’imposante charge du rôle-titre revient à la soprano canado-libanaise Joyce El-Khoury. Sa voix parfaitement maîtrisée sur le plan technique aurait pu être plus poignante. Cependant, la chanteuse a joué le drame de son personnage avec brio, nous emportant avec elle dans ses vives émotions et sa douleur, particulièrement dans l’air « Un bel  vedremo ». Bien qu’elle n’ait que 15 ans dans l’histoireButterfly est une personne à la fois forte, mature et déterminée. 

Joyce El-Khoury (Cio-Cio San)dans Madama Butterfly, Opéra de Montréal, 2023
Photographie : Vivian Gaumand

L’américain Matthew White a été tout à fait brillant dans son rôle de Pinkerton qu’il a tenu avec énormément d’aisance. Lauren Segal a également bien interprété le rôle de Suzuki, la domestique de Butterfly, qu’elle a rendue à la fois chaleureuse et attachante. Éric Thériault, qui pour l’occasion est vêtu des habits de Goro, « vendeur d’épouses japonaises » – on dirait plutôt proxénète aujourd’hui –, a offert une performance à la fois soutenue et colorée. Peu importe ce qu’il joue, il fait toujours plaisir d’entendre et de regarder jouer ce ténor. Hugo Laporte a, quant à lui, chanté avec précision et justesse. Si certains trouvent que le baryton a semblé effacé et sans émotion, il me semble évident qu’il faut rappeler que son personnage Sharpless est un officier de l’armée, indifférent et presque froid. Le seul bémol parmi les voix solistes a été observé chez la basse Matthew Treviño qui a joué Bonzo. Dans ses quelques interventions, son timbre a fait en sorte que sa voix s’est complètement perdue dans la masse sonore orchestrale. 

Les opéras de Puccini sont reconnus pour déployer d’importants effectifs de chanteurs et choristes sur les scènes. L’intensité sonore provoquée par leurs chants est tout à fait nécessaire à l’efficacité du drame de l’œuvre. Dans le cadre de la production de l’Opéra de Montréal, le chœur ajoutait un bel effet visuel à la mise en scène d’Havey. Toutefois, bien que la musique ait été rendue avec émotion, la prononciation de l’italien a été perdue à plusieurs reprises dans les différents airs du chœur, ce qui a rendu les propos carrément incompréhensibles. 

En tout dernier, mais non le moindre, l’Orchestre Métropolitain a été dirigé par le chef d’orchestre espagnol Pedro Halffter. Malgré les quelques imprécisions musicales observées du côté des violons dans l’ouverture et plus tard dans l’intermezzo de l’acte 3, il faut souligner la puissance avec laquelle la partition a été rendue. Il n’est pas facile de faire sonner la salle Wilfrid-Pelletier, pas du tout construite pour l’acoustique d’un orchestre. Toutefois, l’OM et Pedro Halffter ont réussi l’exploit en faisant résonner la musique de Puccini. 

Valeur sûre pour toute maison d’opéra, cette production de Madama Butterfly a de quoi plaire à tous les spectateurs et spectatrices, des fins connaisseurs aux néophytes.

Joyce El-Khoury (Cio-Cio San) et Matthew White (Benjamin Franklin Pinkerton) dans Madama Butterfly, Opéra de Montréal, 2023
Photographie : Vivian Gaumand

Madama Butterfly

Opéra en deux ou trois actes de Giacomo Puccini sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
ORC : Orchestre Métropolitain
CHO : Chœur de l’Opéra de Montréal

Production
Opéra de Montréal
Représentation
Salle Wilfrid-Pelletier , 6 mai 2023
Direction musicale
Pedro Halffter
Interprète(s)
Joyce El-Khoury (Cio-Cio-San), Matthew White (Benjamin Franklin Pinkerton), Hugo Laporte (Sharpless), Lauren Segal (Suzuki), Martina Myskohlid (Kate Pinkerton), Éric Thériault (Goro), Matthew Treviño (Bonzo), Geoffrey Schellenberg (Yamadori/L’Officier d’état civil), Matthew Li (Le Commissaire impérial), Sydney Frodsham (La Mère), Meghan Fleet (La Tante), Marie-Claire Drolet (La Cousine), Mikelis Rogers (L’Oncle)
Mise en scène
Stephanie Havey
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