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CRITIQUE - L’Enfant et les sortilèges : Retour en enfance avec l’Atelier lyrique et l’Orchestre de l’Agora

CRITIQUE - L’Enfant et les sortilèges : Retour en enfance avec l’Atelier lyrique et l’Orchestre de l’Agora

L'Enfant et les sortilèges, Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal et Orchestre de l'Agora, 2023
Photographie : Ludovic Rolland-Marcotte

Les 4 et 5 février derniers, le théâtre Paradoxe accueillait l’Orchestre de l’Agora, sous la direction de Nicolas Ellis, et l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal à l’occasion de la représentation de L’enfant et les sortilèges de Ravel. Sous une température glaciale, cette ancienne église éclairée de rose, située dans le sud-ouest de Montréal, annonçait déjà la couleur d’une soirée magique. Dès son entrée dans la salle, le public était baigné dans des odeurs de sucrerie. Un accord cohérent entre une stratégie marketing et un propos artistique a mené à une vente de bonbons, de maïs soufflé et de barbe à papa ravissant les petits comme les grands. 

Avant l’ouverture de la fantaisie lyrique, reconnue pour sa féerie et l’humour du livret de l’écrivaine Colette, la soirée a débuté par un coup de maître. Telle une préface à L’enfant et les sortilèges, l’Orchestre de l’Agora a uni deux pièces de Ravel : Le tombeau de Couperin et Schéhérazade. Entre la légèreté du rigaudon et le mystère des trois airs, le public a pu se plonger dans un conte, donnant l’impression de faire partie du décor de la chambre de l’Enfant. 

En dépit de l’espace restreint devant accueillir l’orchestre et cette fantaisie lyrique reconnue pour la difficulté de sa mise en scène, Sylvain Scott a réalisé ce défi avec brio. Un escalier contournant l’orchestre et habillé d’une tapisserie recouverte de dessins d’enfant exprimait la tristesse et la colère dans des couleurs pastels.

L’absence de chorégraphie a été comblée par un travail sur la gestuelle des protagonistes. Bien loin d’un traitement simpliste et grossier des corps sur scène, les gestes ont été traités avec finesse. Les contraintes, liées notamment à la petitesse de la scène, et l’accent sur les détails ont permis d’intensifier l’expression de la pièce. Karoline Podolak, dans le rôle du Feu, vêtue de noire, faisait vivre son costume jusqu’aux bout de ses doigts. Sa technique vocale remarquable sublimait ses différents personnages (dans les rôles du Feu, de la Princesse, du Rossignol et dans les ensembles).

Karoline Podolak (Feu) dans L'Enfant et les sortilèges, Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal et Orchestre de l'Agora, 2023
Photographie : Ludovic Rolland-Marcotte

Parmi toutes les voix de l’Atelier lyrique, celle de Sydney Frodsham n’égalait pas le niveau des autres. Il se peut qu’elle n’ait pas été au meilleur de sa forme car sa présence scénique était époustouflante. Malgré quelques défauts techniques, ses interventions ont toujours été empreintes de joie et de musicalité, deux qualités essentielles dans une œuvre comme celle-ci. 

Les airs s’enchaînaient à une allure effrénée, ne laissant pas le temps à l’auditeur de s’ennuyer. La mise en scène, les costumes graphiques et leurs couleurs étaient époustouflants. Il est pertinent d’avoir mis l’accent sur ces différents éléments pour célébrer le genre de la fantaisie lyrique sans entrer dans le piège de traiter l’œuvre seulement vocalement. 

Enfin, si l’humour était le maître-mot de la soirée chez tous les personnages, il est dommage de l’avoir également associé au personnage de l’Enfant, interprété par Lucie St-Martin. Ce rôle est un défi en soi, considérant l’omniprésence scénique mais le peu d’airs du personnage. Cependant, cette histoire raconte l’excès de colère d’un enfant et ce topos ne s’est pas du tout fait ressentir ni dans la voix, ni dans le caractère de l’Enfant, plus empreint de malice que de rage. Le timbre beau mais timide de Lucie St-Martin passait malheureusement sous l’orchestre.  

Il incombe également de souligner l’incohérence artistique entre la production et le projet de médiation culturelle mis en place dans la salle du théâtre Paradoxe. Les nombreux dessins réalisés par des enfants et exposés dans le cadre de cette soirée épousaient parfaitement l’âme de cette fantaisie lyrique fondée sur l’expression d’une colère sans filtre. Il s’agissait de mettre à l’honneur cette émotion si tabou dans notre société. Quelle déception de ne pas avoir pu la retrouver sur scène.

L’enfant et les sortilèges

Fantaisie lyrique en deux parties de Maurice Ravel sur un livret de Sidonie-Gabrielle Colette.
ORC : Orchestre de l’Agora
CHO : Chœur des enfants de Montréal à Partageons l’espoir

Production
Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal
Représentation
Théâtre Paradoxe , 4 février 2023
Direction musicale
Nicolas Ellis
Interprète(s)
Lucie St-Martin (L’enfant), Sydney Frodsham (Maman, Libellule, Tasse, Pâtre), Emma Fekete (Bergère, Chouette, Pastourelle, La Flûte enchantée, Schéhérazade), Karoline Podolak (Feu, Princesse, Rossignol), Marc-Antoine Brûlé (Arithmétique, Rainette), Matthew Li (Fauteuil, Arbre), Mikelis Rogers (Chat, Horloge), Martina Myskohlid (Chatte, Écureuil, Chauve-Souris, Asie [Schéhérazade], Angelo Moretti (Théière), Michael Eusebio (L’indifférent [Schéhérazade])
Mise en scène
Sylvain Scott
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