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CRITIQUE - Unruly Sun par l’OCM : Mélodies rebelles

CRITIQUE - Unruly Sun par l’OCM : Mélodies rebelles

Photographie : Brent Calis

Le 1er décembre dernier, dans le cadre de la Journée mondiale de lutte contre le sida, l’Orchestre classique de Montréal (OCM) a présenté la création du cycle de chansons Unruly Sun, sur une musique de Matthew Ricketts et un livret de Mark Campbell. Interprétée dans le très bel espace du Cirque Éloize (mais sans la participation dudit cirque, contrairement à ce que ma lecture en diagonale de l’invitation à rédiger une critique m’avait laissé croire), l’œuvre mettait à l’honneur le quintette à cordes de l’OCM, dirigé au piano par Michel-Alexandre Broekaert, et le ténor libano-américain Karim Sulayman. La mise en scène était assurée par Michel-Maxime Legault, et les éclairages, par Anne-Catherine Simard-Deraspe.

Le cycle de Ricketts et Campbell s’inspire librement des mémoires du cinéaste et activiste gai Derek Jarman, intitulées Modern Nature, lesquelles retracent le séjour de Jarman dans sa cabane de pêcheurs de Prospect Cottage, dans le sud de l’Angleterre, après son diagnostic de sida en 1989. Loin de constituer une adaptation musicale stricte de l’œuvre littéraire, le cycle de chansons en propose plutôt une relecture du point de vue d’un homme gai de la génération suivante. À travers 19 chansons d’une grande poésie lyrique, les spectateur·rices se voient proposer un parcours sinueux où la vie avec le sida sous l’ère Thatcher s’entremêle avec la contemplation de bord de mer, les pérégrinations botaniques, les récits d’amour, de flirt et de sexe. La performance musicale proposée par l’OCM était enrichie d’un diaporama vidéo faisant défiler des images bucoliques, vraisemblablement tirées des mémoires de Jarman, du moins en partie. 

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Unruly Sun est une grande œuvre. La poésie de Campbell est poignante, et la musique de Ricketts porte cette dernière avec un élan indéniable. L’esthétique du tout oscille entre un ancrage profondément contemporain et un lyrisme mélancolique qui n’est pas sans rappeler le Winterreise de Schubert – lui-même aux prises avec la maladie en son temps. On pardonnera alors les quelques longueurs découlant d’une interprétation de bout en bout des 19 chansons constituant le cycle, dont on ne peut toutefois nier ni l’unité ni la cohérence. D’ailleurs, chaque chanson se suffit en elle-même, ce qui ne peut que nous faire espérer que l’œuvre soit intégrée au répertoire et réinterprétée encore et encore, en tout ou en partie.

Enfin, je ne pourrais conclure cette critique sans souligner la performance magistrale de Karim Sulayman, un ténor comme j’en ai rarement vus dans ma vie de mélomane. En plus de faire entendre une voix d’une clarté et d’une profondeur sans pareille, Sulayman maîtrise tous les registres de performance scénique, de l’intériorité à la révolte, de la contemplation apaisée à la badinerie légèrement arrogante. Son charisme est magnétique, toujours au service de l’œuvre qu’il interprète, et qu’il fait pleinement sienne. En ce sens, l’ensemble de la performance d’Unruly Sun constitue un véritable coup de maître de la part de l’OCM, caractérisé par une audace artistique sobre et bien dosée, dont on ne peut souhaiter que la récidive.

« Une seule jonquille est un miracle queer ». « A single daffodil is a queer miracle ».

Photographie : Brent Calis

Unruly Sun

Cycle de chansons de Matthew Ricketts sur un livret de Mark Campbell
ENS : Quitette à cordes de l’Orchestre classique de Montréal

Production
Orchestre classique de Montréal
Représentation
Cirque Éloize , 1 décembre 2022
Interprète(s)
Karim Sulayman (ténor)
Mise en scène
Michel-Maxime Legault
Pianiste
Michel-Alexandre Broekaert
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