CRITIQUE - Musiques et poésies avec le Nouvel Ensemble Moderne : Un mariage forcé ?
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Le 25 octobre, le Nouvel Ensemble Moderne et Terres en vues ont présenté un événement alliant musiques et poésies. Sous la direction de la cheffe Lorraine Vaillancourt, la scène de la Salle Bourgie a accueilli la poète et récitante Joséphine Bacon, le récitant Rudy Barichello ainsi que la soprano Nathalie Paulin, Deantha Edmunds n’ayant pu se joindre au NEM pour le concert comme prévu.
Le concert a débuté par un extrait du Quatuor à cordes nº 1 de Valentin Silvestrov, compositeur ukrainien. La pièce, s’ouvrant sur un thème plaintif et grave, est soutenue par la projection d’un vers du poète Taras Chevtchenko sur le fond de scène :
« Notre âme ne peut pas mourir. La liberté ne meurt jamais. »
Alors que la pièce touche à sa fin, la voix de Rudy Barichello, diffusée sur les haut-parleurs, étouffe la musique et brise les derniers instants suspendus d’une intimité installée avec le public, par son trop fort volume sonore et sa dynamique brutale. Cette voix parlée ne coïncide pas avec le discours musical, et semble traduire un problème technique plutôt qu’un choix artistique.
La représentation s’est poursuivie dans une salle noire avec pour seule lumière une couleur bleue pour éclairer le quatuor. Ce changement d’éclairage semble marquer la fin de l’extrait joué. Pourtant, une vague de doute se fait sentir dans le public malgré de premiers applaudissements.
Joséphine Bacon est alors entrée vêtue d’une chemise rouge, couleur symbolique pour la mémoire des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. La récitation des vers est fondée sur une alternance entre innu-aimun et français, nourrissant une esthétique fondée sur une double musicalité linguistique dans une œuvre, dans un temps, en un lieu. La voix parlée de Joséphine Bacon émeut par sa justesse et sa sincérité et la récitante a quitté alors la scène sous les applaudissements d’un public qui l’aurait écoutée davantage.
La pièce suivante a constitué une mise en musique pour 14 instruments de poèmes issus du recueil Uiesh de Joséphine Bacon, composée par le compositeur Tim Brady. Les motifs musicaux ascendant et descendant des vents appuient, par figuralisme, le sens du texte récité : « Je vis la grandeur du vent, je sens sa beauté, le vent me prend dans ses bras. Il souffle d’un air mélodieux que j’aimerais écrire ». L’orchestration de la pièce, à la fois fine et dense, devient un réel laboratoire de l’expression où des associations de timbres évoquent la création d’un nouvel instrument. Néanmoins, la voix reste en conflit avec le discours musical. La ligne mélodique écrite pour la voix de soprano débute dans son registre le plus grave et disparaît sous la masse instrumentale. Le poème est alors obscurci par l’ensemble. Nathalie Paulin relève pourtant le défi de la partition avec brio : maîtrise et puissance sont les maîtres mots d’une telle performance. Si la dichotomie entre texte et musique laisse une note incohérente dans l’oreille du public tout au long de la représentation, la dernière partie de l'œuvre fait entendre un rythme à la Steve Reich où, pour la première fois, un dialogue apparaît entre musique et poésie.
Le concert se poursuit avec la création de la pièce Facing the Music de Simon Bertrand, composée pour 15 instruments et un récitant. L’œuvre est divisée en sept mouvements, chacun mettant en scène un poème de Paul Auster récité par Rudy Barichello. La musique accompagne la pesanteur des mots. Le discours musical très visuel, empreint de stéréotypes sonores et de redondances, vient exacerber l’écriture et la récitation sombre des poèmes. La recette semble toujours être la même : d’un mode majeur à un mode mineur, un thème se balade entre les pupitres avec un jeu sur le timbre, puis se termine par une interruption spontanée.
Au fil des pièces, la direction de Lorraine Vaillancourt a suscité l’admiration par sa clarté, sa souplesse et sa précision. Si selon la cheffe, « ce soir, poésies et musiques s’unissent pour dire ! », la représentation a plutôt été une tentative d’union de deux arts où la musicalité naturelle émanant des vers n’a pas été considérée, créant une frustration dans l’audience. Le traitement de ces deux muses est-il un mariage forcé ? Et si la poésie n’avait pas besoin de s’unir à la musique pour « dire » ?
Nouvel Ensemble Moderne (NEM) – Faire face à la musique
Œuvres de Valentin Silvestrov, Simon Bertrand et Tim Brady
- Production
- Salle Bourgie
- Représentation
- 25 octobre 2022
- Direction musicale
- Lorraine Vaillancourt
- Interprète(s)
- Nathalie Paulin (soprano), Joséphine Bacon (récitante), Rudy Barichello (récitant)