CRITIQUE - Un Don Pasquale à la sauce yé-yé
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Anne-Catherine Gillet (Norina), Hugo Laporte (Docteur Malatesta) et Olivier Déjean (Don Pasquale).
Photographie : Louise Leblanc
Don Pasquale de Donizetti devait être la première production de Jean-François Lapointe en tant que directeur artistique de l’Opéra de Québec. Covid-19 oblige, le rendez-vous a enfin eu lieu au Grand Théâtre de Québec, du 22 au 29 octobre, dans une salle où beaucoup de sièges étaient malheureusement inoccupés. En cette période de morosité généralisée, un opéra comme Don Pasquale aurait eu pourtant de quoi égayer les esprits…
Ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux savent ce que je pense des trop fréquentes transpositions d’opéras dans un monde contemporain, car je ne me gêne pas pour en fustiger quelques-unes. En effet, pour qu’une telle mise à jour soit réussie, il faut que l’intrigue reste pertinente et que les conventions lyriques d’une autre époque ne sombrentpas dans le ridicule. Bref, il faut que ladite transposition apporte quelque chose de neuf, porte le spectateur à voir les choses sous un autre angle, sans trahir l’œuvre originale. Le Don Pasquale du comédien et metteur en scène de théâtre Jean-Sébastien Ouellette répond à ces critères et a permis au public de Québec de se régaler avec une histoire de 1842, digne de la commedia dell’arte, mais habilement campée dans les années soixante. Tout y était : la « grosse bagnole » américaine (une Mustang) remplaçant les chevaux du XIXe siècle, les vêtements colorés du jeune couple et des choristes, et un mobilier d’époque nous rappelaient à la fois les films de la Nouvelle Vague et l’insouciance desannées yé-yé.
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Hugo Laporte (Docteur Malatesta) et Anne-Catherine Gillet (Norina).
Photographie : Louise Leblanc
Le décor, simple mais ingénieux, signé Michel Baker, a pour cadre une toile représentant tour à tour la maison de Don Pasquale – un bungalow nord-américain – , un hôpital, une gare de train qui se dessine littéralement sous nos yeux et un restaurant. Des animations, des illusions d’optique et des changements à vue dévoilent l’intérieur de chaque lieu. Durant l’ouverture, on assiste à des scènes de la vie quotidienne. Don Pasquale, ayant tondu sa pelouse, s’effondre, victime d’une crise cardiaque. C’est donc à l’hôpital, un mois plus tard, que débute le premier acte. Le septuagénaire semble ressusciter à l’idée de se marier avec la jeune ingénue que son médecin, le Docteur Malatesta, lui présente comme étant sa sœur. Que la farce commence, avec son feu roulant de dialogues, de commentaires en a parte et de brillantes roulades dignes des plus grands airs du bel canto!
Côté vocal, le rôle-titre était confié à la basse française Olivier Déjean qui m’a laissée sur ma faim : j’avais du mal à voir en lui le vieillard grincheux décrit dans l’opéra. De plus, sa voix, qui manquait de panache pour bien cerner ce rôle burlesque, passait difficilement la rampe, étant souvent couverte par l’orchestre. Fort heureusement, les ensembles, telle sa rencontre avec Norina et le brillant quatuor final de l’acte II (« Son tradito ») lui ont permis de tirer son épingle du jeu.
Le baryton québécois Hugo Laporte était par contre impeccable dans le personnage du rusé docteur Malatesta, par sa présence scénique, et par sa voix ample et d’une belle palette de nuances (« Bella siccome un' angelo »). Le romantique Ernesto, neveu déshérité et amoureux de Norina, était chanté par le ténor congolais Patrick Kabongo, une belle découverte dont le jeu alerte, le timbre léger et une belle musicalité apportaient une touche de fraîcheur et de sensibilité (« Sogno soave e casto », acte I et « Cercheròlontana terra », acte II) à cette œuvre dominée par les voix graves. Présence remarquée et hilarante du baryton-basse de Québec Michel Desbiens dans le rôle du notaire éméché rédigeant le faux contrat de mariage entre Don Pasquale et Norina.
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Olivier Déjean (Don Pasquale), Hugo Laporte (Docteur Malatesta) et Patrick Kabongo.
Photographie : Louise Leblanc
Le seul rôle féminin de l’opéra réside en Norina, la jeune veuve sans fortune qu’aime Ernesto et qui, grâce à la complicité de Malatesta, obtiendra ce qu’elle veut. La soprano belge Anne-Catherine Gillet, dont j’avais apprécié les qualités dans Faust de Gounod l’été dernier, est arrivée en cours de répétitions pour remplacer Hélène Guilmette. Très à l’aise dans ce rôle qui marie le sentiment et la comédie, elle a tour à tour incarné avec brio l’ingénue sortant du couvent présentée à Don Pasquale et l’impossible mégère qui va lui faire vivre un enfer.
Si le chœur occupe une place discrète dans Don Pasquale, le metteur en scène a permis à celui de l’Opéra de Québec d’occuper judicieusement l’espace. Le chef français Laurent Campellone a dirigé l’Orchestre symphonique de Québec avec précision et fermeté, faisant ressortir les détails de la partition, même si parfois, certains chanteurs peinaient à se faire entendre.
Don Pasquale
Opéra bouffe en trois actes de Gaetano Donizetti sur un livret de Giovanni Ruffini
ORC : Orchestre symphonique de Québec
CHO : Chœur de l’Opéra de Québec
- Production
- Opéra de Québec
- Représentation
- Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec , 22 octobre 2022
- Direction musicale
- Laurent Campellone
- Interprète(s)
- Olivier Déjean (Don Pasquale) Hugo Laporte (Docteur Malatesta) Patrick Kabongo (Ernesto) Michel Desbiens (Le notaire) Anne-Catherine Gillet (Norina)
- Mise en scène
- Jean-Sébastien Ouellette