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CRITIQUE - Opér’Actuel 2022, ou la promesse de l’aube

CRITIQUE - Opér’Actuel 2022, ou la promesse de l’aube

Photographie : Pierre-Étienne Bergeron

Pour cette 7e édition d'Opér'Actuel, Chants libres proposait six extraits d'opéras en devenir. Qu'ils soient encore sur la table de travail du compositeur, où que le projet soit plus avancé, ces extraits offraient un panorama très diversifié des possibilités qu'offre le genre de l'opéra aux créateurs d'aujourd'hui, ainsi que des avenues qu'empruntent ces créateurs. Bien sûr, la formule est celle d'une présentation devant public d'une œuvre en devenir. Ces créations évolutives (est-ce là une bonne traduction de work in progress?) sont autant de promesses de l'aube comme l'écrivait Romain Gary : des soleils se levant sur une journée en devenir, ouverte à toutes les possibilités.

L'événement débutait par un extrait de l'opéra de Tim Brady, Backstage at Carnegie Hall, qui prendra l'affiche au théâtre Centaur à la fin du mois de septembre. Un extrait qui nous laisse un peu sur notre faim, mais qui saura certainement prendre tout son sens dans l’œuvre complète que nous aurons la chance de découvrir sous peu.

Avec La Noix & Le Diamant, Vytautas Bucionis propose une musique aux harmonies riches et à l'instrumentation raffinée. Cependant, l'écriture vocale semble pâtir d'une inspiration plus terne. On garde bien sûr à l'esprit que l’œuvre est encore en gestation – et sortie de son contexte global – mais les deux extraits proposés ne présentaient pas de tension dramatique apparente. Il faudra voir ce que les créateurs proposeront dans leur opéra quand il sera achevé.

L’épaisseur du silence de Jesse Plessis est un monodrame abordant la réalité toute contemporaine du ghosting. Il a été présenté comme une sorte de variante de La Voix Humaine de Poulenc, ce qui ne me semble pas tout à fait juste. J'aurais plutôt fait le parallèle avec Erwartung de Schoenberg, tant par la complexité psychologique du personnage que par le contexte dramatique (contrairement à La Voix Humaine, le personnage ne dialogue pas avec un interlocuteur inaudible). Quoi qu'il en soit, le langage musical est très intéressant et a un potentiel dramatique fort convainquant. La proposition est particulièrement accrocheuse et l'on souhaite ardemment découvrir l’œuvre achevée.

Future Games de Nicola Straffelini est un cas à part, car il s’agit d'une œuvre complète et unie. Cette petite scène lyrique – qui présente une cartomancienne et trois de ses clients – a son univers musical cohérent et bien dirigé. Le compositeur démontre d’ailleurs une grande habileté à caractériser en musique les personnages de son œuvre. Cette forme courte – proche du sketch en quelque sorte – pourrait très bien figurer en début de programme d'une œuvre plus substantielle.

Marco Antonio Pérez-Ramirez propose, avec Jailli – mis brujerías, une incursion plus proche du théâtre musical, au sens où l'entendait Kagel ou Stockhausen. L’œuvre pour mezzo-soprano et clarinette basse (et où les deux interprètes jouent aussi des percussions) explore un mode plus hypnotique, voire cathartique, dans son incarnation dramatique. La performance des interprètes est particulièrement admirable, mais on se questionne sur la réalisation scénique qu'offre une telle avenue. 

Opér'Actuel se terminait un peu comme il commençait avec un extrait d'un opéra qui sera présenté sous peu, puisque L’écoute du perdu de Keiko Devaux prendra l'affiche à l'hiver 2023 à Montréal. On retrouve ici les grandes qualités de la musique de Devaux : ses couleurs satinées, sa tendresse et sa subtilité enivrante. Là encore, on se questionne sur les visées dramatiques et théâtrales du projet, mais tout porte à croire que le spectacle complet saura apporter des réponses à nos interrogations.

Ainsi donc, le soleil s'est levé sur six opéras en devenir. Que nous réservera la journée qui se dévoile? Qu'aurons-nous vécu au moment du crépuscule? Comment ces promesses de l'aube se déploieront? L'avenir nous le dira. Mais une chose est sûre, c'est que l'équipe que Chants libres a recruté pour faire briller ces projets aura offert une belle vitrine à ces créations en devenir.

Photographie : Pierre-Étienne Bergeron

Opér’Actuel 2022

Oeuvres présentées
Tim Brady : Backstage at Carnegie Hall (Audrey Dwyer, livret)
Keiko Devaux : L’écoute du perdu (Marie Brassard, mise en scène)
Marco Antonio Pérez-Ramirez : Jailli – mis brujerías (Laurence Saboye, livret)
Jesse Plessis : L’épaisseur du silence (Thomas Ayouti, livret)
Nicola Straffelini : Future Games (Carlo Cenini, livret)
Vytautas Bucionis : La Noix & Le Diamant (Caroline Allard, livret)

ENS : Ensemble Paramirabo

Production
Chants Libres
Représentation
Théâtre Rouge du Conservatoire de musique de Montréal , 27 août 2022
Direction musicale
Jean-Michaël Lavoie
Interprète(s)
Sarah Albu, Marie-Annick Béliveau, Ruben Brutus, Émilie Daoust-Versailles, Raphaël Laden-Guindon, Frédéricka Petit-Homme, Brittany Rae
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