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CRITIQUE - Lemieux, Jaroussky, Cohen, Haendel : Que du bonheur !

CRITIQUE - Lemieux, Jaroussky, Cohen, Haendel : Que du bonheur !

Marie-Nicole Lemieux et Philippe Jaroussky

C’est sous le signe de l’exubérance et de l’émotion qu’a commencée au palais Montcalm la 39e saison des Violons du Roy. Pouvait-on rêver meilleure combinaison qu’un programme tout Haendel, dirigé par Jonathan Cohen et servi par Marie-Nicole Lemieux et Philippe Jaroussky ? Le public québécois, qui fut parfois frileux durant les deux années de pandémie a enfin répondu « présent », et c’est à guichets fermés qu’eut lieu ce premier concert.

Au programme figuraient trois ouvertures d’opéras, une passacaille, deux rigaudons mettant en valeur l’orchestre des Violons du Roy, huit airs et deux duos provenant de cinq opéras, ainsi que deux rappels.

Côté instrumental, Jonathan Cohen a révélé la beauté de chaque ouverture à la française en donnant une personnalité à chacune : beaucoup d’énergie dans celle d’Ariodante qui commençait le concert; de la grandeur et de la fluidité dans celle de Giulio Cesare; de la dualité, dans Agrippina, entre l’esprit lullyste de la section en notes pointées, et la tempête de notes à l’italienne de la partie fuguée. La noble Passacaille de Radamisto (1720), interprétée avec beaucoup de classe, et les deux Rigaudons ont mis en valeur le solide trio d’anches (deux hautbois et basson) des Violons du Roy. La chimie entre le chef et l’orchestre s’est poursuivie dans leur soutien exemplaire des deux chanteurs.

Côté vocal, nous avons affaire à deux personnalités fort différentes mais liées par une évidente complicité : l’impétueuse Marie-Nicole Lemieux, une habituée de la maison, qui déclenche un tonnerre d’applaudissements avant même d’avoir chanté une note, et le discret Philippe Jaroussky, dont la première visite chez les Violons du Roy remonte à 2017. Tous deux ont alterné des airs tour à tour virtuoses et expressifs puisés dans le répertoire conçu par Haendel pour contralto féminin, pour castrat ou même pour soprano.

Marie-Nicole Lemieux

L’entrée remarquée de Marie-Nicole Lemieux, spontanée et séductrice, est accueillie de façon tapageuse par ses admirateurs inconditionnels – on se serait crus dans un théâtre italien du XVIIIe siècle! Cela nous a valu l’air guerrier de Polinesso (Ariodante), originellement écrit pour une contralto. Elle l’a chanté avec bravoure et une certaine dose de cabotinage qui n’était pas pour déplaire à l’auditoire, mais qui l’amenait à forcer certaines notes au détriment de la musicalité. Elle a fort heureusement interprété avec beaucoup de sensibilité et d’émotion le récitatif accompagné de Jules César, « Dall’ondoso periglio » et l’air pour castrat « Aure, deh, per pietà ».

On la retrouvait en seconde partie dans un autre rôle masculin destiné à une contralto, celui de l’empereur déchu Othon (Agrippina). Après un récit accompagné particulièrement tourmenté, elle a mis en valeur le caractère plaintif de l’air « Voi che udite il mio lamento », soutenue délicatement par le hautbois de Jean-Luc Côté. Dans l’air « Son contenta di morire » (Radamisto), son agilité vocale et son tempérament passionné ont superbement servi la rage et la rébellion qui animaient le personnage de Zenobia.

Philippe Jaroussky avait la tâche délicate d’entrer en scène après les étincelles provoquées par le premier air de Marie-Nicole Lemieux. Il le fit avec l’admirable « Cara sposa » de Rinaldo, chanté avec raffinement et conviction, ornementant sans excès la reprise da capo. On a retrouvé la même aisance, et des aigus d’une grande pureté dans l’air plein de grâce « Qual nave smarrita trà sirti » de Radamisto. Avec lui, rien n’est forcé, tout est mis au service de la musique.

Jaroussky révèle son sens dramatique dans l’air assez véhément de Sesto (Giulio Cesare), faisant ressortir la colère et les désirs de vengeance du jeune fils de Pompée. À noter que Haendel avait confié ce rôle en 1724 à la célèbre soprano Durastanti travestie en garçon. Avec « Venti, turbini » (Rinaldo), on a pu apprécier sa grande virtuosité et la finesse des vocalises à couper le souffle.

Lemieux et Jaroussky, qui ont déjà partagé la scène à plusieurs reprises, se complètent admirablement et l’ont démontré dans les duos : celui, plein de mélancolie de Giulio Cesare, « Son nata a lagrimar », et le badinage amoureux de Radamisto. Le charisme de la contralto a un effet d’entraînement sur le contre-ténor qui sort de sa réserve et lui donne magnifiquement la réplique. En rappel, un duo de Partenope de Haendel, qu’ils traitent, pour la plus grande joie du public, à la manière d’une scène de ménage. Sur une note plus voluptueuse, la soirée s’est terminée sur le duo d’amour de L’Incoronazzione du Poppea de Monteverdi. Divin !

Lemieux et Jaroussky en parfaite complicité

Airs de Georg Friedrich Haendel
ORC : Les Violons du Roy

Production
Les Violons du Roy
Représentation
Palais Montcalm de Québec, salle Raoul-Jobin , 22 septembre 2022
Direction musicale
Jonathan Cohen
Interprète(s)
Marie-Nicole Lemieux (contralto), Philippe Jaroussky (contre-ténor)
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