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CRITIQUE - Festival d’opéra de Québec : Au Festival d’Opéra de Québec, un Faust à couper le souffle

CRITIQUE - Festival d’opéra de Québec : Au Festival d’Opéra de Québec, un Faust à couper le souffle

Patrick Bolleire (Méphistophélès), Anne-Catherine Gillet (Marguerite) et Thomas Bettinger (Faust), dans Faust, Festival d’opéra de Québec, 2022
Photographie : Jessica Latouche

Fidèle aux intentions qu’il avait exprimées lors de sa nomination à la tête de l’Opéra de Québec (OdQ), Jean-François Lapointe, directeur général et artistique de la compagniepasse aux actes avec un 11e Festival d’Opéra de Québec tout en français. Au programme : deux Marguerite, celle de Faust de Gounod, et celle de la création mondiale de Yourcenar  Une île de passions, ainsi que deux productions plus légèreségalement en français, mettant la relève à l’honneur avec Une veuve joyeused’après Franz Leháret Trois contes d’Andersen, de Jean-François Mailloux.

Malgré son immense popularité, Faust de Gounod n’a été à l’affiche de l’OdQ qu’à deux occasions, en 1988 et en 1997. Il revient donc sur la scène du Grand Théâtre de Québec après 25 ans, dans une version à couper le souffleJ’oserais même avancer que c’est la plus belle production qu’il m’a été donné de voir à Québec, et qu’elle met la barre haute pour l’avenir.

Le metteur en scène français Jean-Romain Vesperini et la costumière Marilène Bastien créent une ambiance intemporelle et agréablement dépaysante : Faust n’est pas le vieillard moribond qu’on aime nous présenter, mais un homme d’âge mûr qui refuse de vieillir, tandis que Marguerite devient une princesse de rêve, sortie de quelque ballet romantique. Autour d’euxles villageois et amishabillés et maquillés comme pour un carnaval, semblent sortir tout droit d’un film de FelliniFacilement reconnaissableMéphistophélès manipule à sa guise tout ce beau monde.

Thomas Bettinger (Faust) et Anne-Catherine Gillet (Marguerite) dans Faust, Festival d’opéra de Québec, 2022
Photographie : Jessica Latouche

Le décor du Français Bruno de Lavenèreun collaborateur régulier de Vesperiniest un sombre escalier monumental reliant l’église et le ciel à l’enfer, y intégrant selon le besoin la maison de Marguerite. Un simple portique lumineux permet de passer d’un monde à l’autre. L’église tient en une gigantesque croix blanche qui, lorsqu’elle devient rouge, tombe sous l’emprise de Satan. Ce décor sévère est somptueusement rehaussé par les projections vidéo d’Étienne GuiolIl y a de la magie dans ce qui se déroule devant nous. Plusieurs dimensions se fondent subtilement sous nos yeux : ici, des fleurs géantes offertes par Siébel à Marguerite, qui se fanent et qui reprennent vie, puis le jardin où rêve FaustEst-ce l’église où prie Marguerite, le champ de bataille avec ses baïonnettes et ses corps meurtris, ou bien les montagnes de Walpurgis où Méphisto tient son sabbat ? Le regard du spectateur est comme hypnotisé par ces enchainements perpétuels.

Si j’en ai eu plein la vue, mes oreilles n’ont pas été en manque, car la distribution était remarquable. Les trois rôles masculins principaux étaient confiés à des chanteurs français, Marguerite était belge, et le reste de la distribution (Siébel, Marthe et Wagner) comprenait de solides interprètes québécois. 

Le Faust de Thomas Bettinger exprime bien les aspirations du vieux médecin en quête d’amour (« À moi les plaisirs ») et son ardeur juvénile retrouvée. La voix est expressive et généreuse, à la fois douce et veloutée dans le célèbre « Salut, demeure chaste et pure », intense dans ses duos avec Marguerite, et ses notes aiguës sont puissantes et bien soutenues. 

L’imposant Méphistophélès de Patrick Bolleire domine la scène avec les multiples facettes de son jeu et de ses ressources vocales. Démoniaque à souhait dans la chanson du veau d’or, tandis que le vin descend l’escalier comme une immense coulée de lave, il est redoutable avec Marguerite lors de la scène de l’église (acte IV), et drôle dans son duo avec Marthe.

Patrick Bolleire (Méphistophélès) dans Faust, Festival d’opéra de Québec, 2022
Photographie : Jessica Latouche

Marguerite a trouvé en Anne-Catherine Gillet une interprète touchante, qui a bien saisi la vulnérabilité de la jeune fille et la force de sa piété, qui la sauvera de la damnation. Elle a mis beaucoup d’expression et de mélancolie dans la ballade du roi de Thulé, et son soprano flûté et léger convenait parfaitement à l’air des bijoux. Les deux derniers actes ont montré sans l’ombre d’un doute tout son potentiel dramatique.

Le baryton Jérôme Boutillier avait fière allure en Valentin, notamment dans l’air du premier acte,« Avant de quitter ces lieux » et dans la scène de la malédiction. Côté québécois, brillante et irrésistible performance de Luce Vachon en Dame Marthe flirtant avec Méphistophélès, présence remarqué du jeune baryton William Desbiens, et charmant jeune Siébel que celui de Sarah Bissonnette

Chapeau au chœur d’une trentaine de voix : en ensemble ou divisé, il confirmait l’excellence de sa réputation, et le célèbre « Gloire immortelle de nos aïeux » montrait la splendeur et la misère des soldats éclopés.

Dès les premières notes de l’ouverture, le jeune chef français Victorien Vanoosten conféré à l’OSQ une plénitude sonore et une musicalité remarquables, sans jamais bousculer ou couvrir les voix.

Faust

Opéra en cinq actes de Charles Gounod sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré

CHO : Chœur de l’opéra de Québec
ORC : Orchestre symphonique de Québec

Production
Festival d'opéra de Québec
Représentation
Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec , 29 juillet 2022
Direction musicale
Victorien Vanoosten
Interprète(s)
Thomas Bettinger (Faust), Anne-Catherine Gillet (Marguerite), Patrick Bolleire (Méphistophélès), Jérôme Boutillier (Valentin), Sarah Bissonnette (Siébel), Luce Vachon (Marthe Schwertlein) et William Desbiens (Wagner)
Mise en scène
Jean-Romain Vesperini et Olga Paliakova (assistante)
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