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CRITIQUE - Festival de Lanaudière : Rossinimania !

CRITIQUE - Festival de Lanaudière : Rossinimania !

Lawrence Brownlee, Meagan Sill et Michael Spyres, dans Rossinimania, Festival de Lanaudière, 31 juillet 2022
Photographie : Annie Bigras (BigJaw)

Dans la foulée de leur admirable disque Amici e Rivali (Erato, 2020), les ténors Lawrence Brownlee et Michael Spyres ont partagé avec les festivaliers de Lanaudière leur complicité amicale et artistique en offrant un programme rossinien de très haute tenue. Construit autour de sept opéras du « Cygne de Pesaro », le programme vocal alterne solos, duos et même trios, dans lesquels on entend la soprano américaine Meagan Sill, qui remplace au pied levé la mezzo Rihab Chaieb. Le concert met également en vedette l'Orchestre Métropolitain, qui, outre l'ouverture de La Pie voleuse, exécute après l'entracte la Suite no 2 du ballet Bacchus et Ariane d'Albert Roussel.

La vedette incontestable de la soirée est le prodigieux Michael Spyres, artiste aux dons phénoménaux qui se rit des catégories, puisqu'il brille aussi bien dans les emplois de ténor que de baryton. Ce « baryténor » semble en effet pouvoir tout faire avec son instrument aux très riches harmoniques, à l'agilité ahurissante, d'une puissance étonnante et à la tessiture d'une étendue exceptionnelle. En témoigne avec éloquence l'air d'entrée de Figaro du Barbier de Séville, où il colore à l'infini sa voix et s'amuse à ajouter de petites touches pleines d'esprit à un morceau qui devient ici absolument jubilatoire. Tout aussi éblouissant dans le registre sérieuxil campe un fier Antenore de Zelmira qui, après un sombre « Mentre qual fiera ingorda » enchaîne avec une cabalette (« Ah dopo tanti palpiti ») d'une insolente virtuosité. Ce sont les mêmes qualités qui font merveille dans les ensembles, où ce grand artiste se met humblement au service de la musique en adaptant ses immenses moyens à ceux de ses collègues. On pense entre autres au duo « Deh ! Scusa i transporti » d'Elisabetta, regina d'Inghilterra et surtout au splendide duo « Donala a questo core... Teco or sarà » de Ricciardo e Zoraide, où Spyres sait réagir au quart de tour afin de plier sa voix à celle, nettement plus légère et disposant d'une palette de couleurs moins étendue, de Lawrence Brownlee. 

Merveilleux ténor di grazia, ce dernier fait également montre d'un abattage vocal hors du commun dans l'air d'Almaviva (« Cessa di più resistere ») dont l'étourdissant rondo a d'ailleurs été repris par Rossini à la fin de La Cenerentola. En Arnold de Guillaume Tell, Brownlee révèle son côté plus héroïque, avec un « Asile héréditaire » émouvant et un « Amis, secondez ma vengeance ! » d'une vigueur peu commune couronné par de superbes contre-ut. À ces qualités, il joint de surcroît une prononciation soignée du français qui lui fait honneur.

Meagan Sill, dans Rossinimania, Festival de Lanaudière, 31 juillet 2022 Photographie : Annie Bigras (BigJaw)

Ayant généreusement accepté de participer au concert sans apporter la moindre modification au programme, Meagan Sill inspire d'abord de vives inquiétudes. Peut-être en raison du trac, sa cavatine de Rosina (« Una voce poco fa ») est en effet hésitante, approximative et manque singulièrement de naturel. Très poitriné, son grave confère de surcroît une dimension peu distinguée à un personnage qui devrait incarner la pétulance sans jamais verser dans la vulgarité. Comme par enchantement, la deuxième partie la trouve métamorphosée, tel que le prouve son Elena de La donna del lago. En pleine maîtrise de sa voix, elle dévoile un fort tempérament dramatique dans le terzetto « Qual pena in me già desta » et une sensibilité à fleur de peau dans le rondo « Tanti affetti ». Dans le trio fort agité « Che fiero punto è questo » tiré d'Otello, sa Desdemona s'impose sans difficulté face à l'Otello de Spyres et au Rodrigo de Brownlee. 

Si la cheffe Ariane Matiakh prend un plaisir manifeste à diriger l'Orchestre Métropolitain dans la partition luxuriante de Roussel, à laquelle elle confère beaucoup de sensualité, il faut avouer que le répertoire rossinien lui convient nettement moins bien. Dès l'ouverture de La Pie voleuse, on sent que ce concert Rossini sera peu subtil et tonitruant. On souhaiterait par exemple des crescendos mieux négociés, qui commencent vraiment en douceur avant l'explosion finale, et plus de finesse dans l'ensemble du discours musical. Loin de chercher à tenir la bride aux musiciens dans les passages les plus forts, elle couvre systématiquement les chanteurs qui sont impuissants face à un tel déferlement de cuivres et de percussions. C'est là la principale déception d'un concert qui nous aura par ailleurs réservé d'inoubliables moments de bel canto.

Rossinimania

Airs tirés d’opéras de Gioachino Rossini
ORC : Orchestre Métropolitain

Production
Festival de Lanaudière
Représentation
Amphithéâtre Fernand-Lindsay , 31 juillet 2022
Direction musicale
Ariane Matiakh
Interprète(s)
Meagan Sill (soprano), Lawrence Brownlee et Michael Spyres (ténors)
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