Critiques

CRITIQUE - De la Guerre à l'honneur

CRITIQUE - De la Guerre à l'honneur

La perspective d’un concert des Boréades en collaboration avec les Jardins chorégraphiques a de quoi réjouir. Francis Colpron et Marie-Nathalie Lacoursière partagent une chimie contagieuse et une créativité décomplexée dans leurs productions. On se souviendra d’Apollo e Dafne au festival Montréal Baroque en 2018 ou encore de Nicandro e Fileno en 2017.

Cette année, les deux comparses nous proposaient un concert articulé autour d’Élisabeth-Claude Jacquet de la Guerre, dont la réputation n’est plus à faire chez les amateurs de musique baroque. Véritable enfant prodige durant le règne de Louis XIV, dont le mécénat lui profitera grandement, Jacquet de la Guerre est particulièrement connue pour ses splendides cantates, genre dont elle est une des pionnières en France avec Jean-Baptiste Morin, Marc-Antoine Charpentier et Nicolas Bernier. Elle est également une des premières à s’intéresser à la sonate en trio, genre qui définira le style français. C’est donc tout naturellement qu’un spectacle devait lui être dédié.

Le concert s’ouvre donc sur deux extraits de Céphale et Procris, premier opéra composé par une femme en France et dont la réception à l’époque fut mitigée – attribuable bien plus à la qualité du livret et au goût de l’époque pour les tragédies lyriques qu’à la musique de Jacquet de la Guerre. Les quatre musiciens sur scène – clavecin, viole de gambe, flûte et violon – font montre de leur grande expérience du genre par une aisance palpable. On regrettera simplement l’effectif présent qui ne peut pleinement rendre le faste d’une ouverture d’opéra à la française. Qu’à cela ne tienne, l’air de Céphale « Lieux écartés, paisible solitude » se prête beaucoup mieux à une formation réduite qui rend l’atmosphère plus délicate afin d’accompagner la soprano Myriam Leblanc. Le rôle de Céphale étant écrit pour haute-contre, c’est l’occasion d’entendre la chanteuse dans un registre qui met en valeur sa voix veloutée et chaude dans les graves.

Le concert se poursuit avec des pièces instrumentales pour violon et clavecin. Dans les notes de programmes, Marie-Nathalie Lacoursière indique :

À l’époque, le violon est encore peu considéré par les Français car, selon Le Cerf de La Viéville : « [O]n voit peu de gens de condition qui en jouent et beaucoup de bas musiciens qui en vivent », et il est tout juste bon à faire danser. Qu’à cela ne tienne, la sonate pour violon que nous avons choisie sera dansée!

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Olivier Brault ne saurait être qualifié de « bas musicien »! Une bonne section du concert repose sur ses épaules et il s’acquitte le plus naturellement du monde de la tâche. Son jeu est sensible, nuancé, rien n’est forcé et il se permet même de petites gestuelles comiques de connivence avec Stéphanie Brochard, co-directrice artistique des Jardins chorégraphiques.

C’est dans la suite pour clavecin, dansée elle aussi, que Francis Colpron et Marie-Nathalie Lacoursière charment le public par leur jeu plein d’esprit; les deux artistes se permettant une petite excursion extra-baroque qui fait mouche. On reconnait bien la petite pointe d’humour et la patte distinctive des Boréades. Pointe d’humour d’autant plus appréciée que depuis le début du spectacle, une trame narrative nous est donnée par l’intermédiaire de la danse mais dont on ne saisit pas toujours l’enjeu. Peut-être qu’un mot du directeur ou des notes de programmes fournies par le festival auraient été de mise? Le spectacle renferme des images scéniques fortes, mais le fil conducteur aurait pu être d’avantage mis de l’avant. Si on comprend assez aisément que la mise en scène nous présente Élisabeth-Claude Jacquet de la Guerre en quête d’inspiration, on s’explique plus difficilement l’apparition d’une autre figure féminine masquée. Le retrait de ce masque et le profond souffle qui s’ensuit marque les esprits, mais s’agit-il d’un commentaire sur la condition féminine obligée de vivre en façade, ou un clin d’œil à l’actuelle situation sanitaire?

Le concert se termine sur la pièce de résistance, la cantate L’île de Delos. L’ajout de la danse baroque enrichit positivement l’œuvre et la cantate se présente désormais plutôt comme un petit divertissement scénique bien ficelé, muni de quelques éléments de mise en scène sobres mais efficaces. C’est l’occasion d’apprécier le registre aigu de Myriam Leblanc qui brille dans ce genre vocal. Un choix de répertoire idéal pour conclure ce portait musical d’une des figures majeures du baroque français.

****

Élisabeth

Production : Festival Montréal Baroque
Théâtre Rialto, 25 juin 2022

INT : Myriam Leblanc (soprano), les Jardins chorégraphiques et les Boréades de Montréal

Production
Partager: