CRITIQUE - Si seulement j’avais été dans l’espace : de la lumière dans l’absence

Du 9 au 19 juin dernier, dans le cadre du Festival St-Ambroise Fringe de Montréal, la toute jeune compagnie Opéra Théâtre du Miroir a présenté sa création Si seulement j’avais été dans l’espace dans la Salle Multimédia du Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal. Cette pièce alliant théâtre et chant lyrique a été co-écrite par Paolo Sangaré-Mermin, idéateur de la compagnie, Catherine Gilbert et Alexis Curodeau-Codère. La mise en scène est l’œuvre deSangaré-Mermin, assisté de Léliana Lacroix, et la performance a été assurée par l’actrice Marianne Martin, la soprano Lila Dufy et la harpiste Cécile Delage. Notons par ailleurs que certaines représentations mettaient également en vedette la soprano Suzanne Taffot dans une version allongée de la pièce – ce n’est toutefois pas cette version que nous avons vue.
Dans un décor drapé de blanc, dont l’esthétique est répliquée dans les costumes des artistes, le récit du spectacle tourne autour de la disparition de Marianne et des témoignages que lui adressent les personnes qui l’entouraient, de proche ou de loin, avant son mystérieux départ : son amie d’adolescence, une bibliothécaire exaspérée par la disparition d’une centaine d’ouvrages avec l’absente protagoniste, sa mère, la locataire de son appartement, une amante. Ces témoignages tirent leur inspiration des boîtes conçues pour les astronautes lors de longs séjours dans l’espace, pour que leurs proches puissent continuer de leur parler, bien que ces lettres ne soient lues qu’au retour des voyageur·euse·s de l’espace. Marianne n’est pas partie dans l’espace intersidéral, mais son absence laisse un vide de nature similaire, qui ne demande qu’à être rempli par les expressions du manque. Les lettres performées sur scène sont séparées par l’interprétation de mélodies françaises aux couleurs modernistes, qui confèrent à l’ensemble une touche supplémentaire de lumineuse mélancolie : Hahn, Debussy, Poulenc, Chausson.
Lumineux est très certainement l’un des qualificatifs qui s’appliquent le mieux à la proposition de Si seulement j’avais été dans l’espace, et ce, à travers tous les affects exprimés par les personnages : incompréhension, douce nostalgie, exaspération, mais surtout beaucoup d’amour. Toutes ces femmes aiment Marianne (sauf peut-être la bibliothécaire) et c’est cet amour qu’elles cherchent à lui transmettre, sans pour autant chercher à la ramener à tout prix. Marianne, même présente, créait autour d’elle des espaces de silence et c’est à travers eux que les femmes de sa vie tentent de renouer avec elle. Aucune hargne, aucun ressentiment, et pourtant toute une palette émotionnelle que les trois artistes sur scène ont rendue avec brio. Soulignons la performance solaire de Marianne Martin, supportée par la retenue et la sensibilité musicale de Lila Dufy, quant à elle accompagnée avec beaucoup d’aplomb par Cécile Delage à la harpe – quel beau choix d’ailleurs que celui de la harpe pour soutenir les mélodies interprétées! Le tout donne à voir une dramaturgie profonde et délicate tout à la fois, qui n’est pas sans rappeler la plume d’une Dominique Fortier. Il est d’ailleurs intéressant de souligner que son dernier roman, Les ombres blanches (publié chez Alto en 2022), aborde également cette question de l’absence, dans le sillage de la disparition de la poétesse Emily Dickinson. Peut-être Marianne est-elle une Dickinson à sa manière, poète jusque dans l’absence, ne donnant à voir d’elle que des bribes, des brèches d’où la lumière émane, comme disait Cohen.

Lila Dufy, dans Si seulement j’avais été dans l’espace, Opéra Théâtre du Miroir, 2022
Photographie : Daniela Sanchez
À travers ce fin assemblage, Si seulement j’avais été dans l’espace entraîne le public dans des moments de douceur, de grande émotion, mais aussi d’hilarité – soulignons la très drôle narration par Martin d’un absurde combat d’araignées dotées de prénoms humains – incarnées par Dufy et Delage – dans une plante occupant l’appartement délaissé par Marianne. À travers les représentations que nous souhaitons nombreuses, nous avons la conviction que les interprètes gagneront en assurance, laquelle nous avons vue un peu fragile en début de représentation, notamment dans le jeu proprement théâtral de Dufy. Nous sommes d’ailleurs portée à croire que ce manque d’assurance a pu être alimenté par le caractère contraignant des costumes drapés et agrémentés de laçages, qui semblaient par moments limiter le mouvement des actrices.
En somme, c’est une magnifique histoire d’amour entre femmes que nous propose l’Opéra Théâtre du Miroir, d’une exquise efficacité dramaturgique, supportée par une délicieuse trame musicale toute en mélodies. À la suite de ce beau succès, nous ne pouvons que souhaiter que longue vie à cette prometteuse compagnie!
- Production
- Opéra Théâtre du Miroir
- Représentation
- Salle Multimédia du Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal , 9 juin 2022
- Interprète(s)
- Cécile Delage (harpiste), Lila Dufy (soprano), Marianne Martin (comédienne), Suzanne Taffot (soprano)
- Mise en scène
- Paolo Sangaré-Mermin