Critiques

ENTRETIEN AVEC PHILIPPE SLY- La voix au service du jeu

ENTRETIEN AVEC PHILIPPE SLY- La voix au service du jeu

Photographie : Louise Leblanc

Le texte intégral de cet entretien paraîtra dans le numéro 29 (Été 2022)
de la Revue québécoise d'art lyrique à laquelle vous pouvez vous abonner en cliquant ici.

Le printemps 2022 du baryton-basse Philippe Sly sera l’occasion d’un séjour dans notre Capitale nationale pour y tenir le rôle-titre dans Don Giovanni, « l’opéra des opéras », dans une nouvelle production de l’Opéra de Québec. Celui qui sur son compte Twitter se décrit comme un « ménestrel par choix, chanteur d’opéra par métier » a répondu avec énergie et enthousiasme aux questions du directeur de la revue dans le cadre d’un entretien qui sera publiée dans le numéro d’été de la Revue québécoise d’art lyrique et dont vous pourrez lire des extraits ci-après

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S’agissant de votre répertoire de prédilection, a-t-on raison de penser que vous êtes devenu un véritable « mozartien » puisque vous avez été soliste dans plusieurs grandes œuvres chorales du compositeur salzbourgeois (Messe en do mineurRequiem) et avez pris des rôles dans Le Nozze di FigaroCosì fan tutteDie Zauberflöte et Don Giovanni ? 

Un mozartien ? Oui, c’est sûr que oui. Sans Mozart, il n’y aurait d’ailleurs beaucoup moins de rôles pour un baryton-basse comme moi. Il y a Rossini, il est vrai, mais c’est le maître de Salzbourg qui a osé, à son époque, faire des barytons et baryton-basses, des personnages centraux de plusieurs de ses opéras. Avec ses récitatifs, airs et ensembles, il a accentué le caractère dramatique de la production lyrique. Bien que Haendel offre aussi, dans ces opéras, mais sans la même profondeur, des occasions de marier heureusement le théâtre et la musique, il n’y a que Mozart pour atteindre un tel niveau de perfection en cette matière. Mozart permet aux interprètes de contrôler le temps et de faire des choix plus colorés. Il les autorise à avoir une relation plus intime avec le chef qui doit écouter ses interprètes. La musique de Mozart permet d’être plus théâtral et rend l’œuvre vivante.

Philippe Sly et Michèle Losier
Cosi fan tutte de Wolfgang Amadeus Mozart
Opéra national de Paris, 2010

S’agissant du drame, on se rend d’ailleurs vite compte dans ce métier qu’il y a plusieurs couches de drame dans l’opéra. Il y a le drame dont le public est témoin, qui se caractérise en outre par cette lutte, souvent héroïque, entre interprètes et qui fascine du fait de la qualité abstraite de la voix. Mais il y a le drame que vit le chanteur, celui du « je » et non plus du « tu », qui doit se faire comprendre, être honnête, tout en nuances et dont la voix doit être au service du jeu. La ligne est très fine et jouer avec finesse est d’une immense complexité. Pour réussir, il faut sans doute garder la tête froide et le cœur chaud – c’est ce à quoi j’aspire toujours. Et ce n’est pas sans difficultés et c’est toujours un grand défi pour moi d’être à la hauteur de la musique de Mozart.

Et pensez-vous l’avoir été à ce jour ?

C’est une bonne question, difficile surtout. En décembre 2021, alors que j’incarnais Leporello dans une production de Don Giovanni du Wiener Staatsoper mise en scène par Barrie Kosky et sous la direction musicale de Philippe Jordan, j’ai certainement vécu ce moment de grâce que recherche tout chanteur. Avec le baryton-basse américain Kyle Ketelsen qui tenait le rôle-titre, nous avons sans doute réussi à créer cette symbiose entre le théâtre et la musique que rend possible l’opéra mozartien. Nous étions à l’écoute l’un de l’autre, on s’oubliait, on s’imitait, on s’écoutait. Je dois admettre qu’il est plus difficile de se souvenir d’un tel moment. Lorsque l’on est invité à réfléchir, comme vous me donnez l’occasion de le faire, je dois admettre que je me souviens davantage des moments difficiles, où l’on a raté son coup, ou pour utiliser une expression québécoise, où l’on est passé dans le beurre !

Kyle Ketelsen (Don Giovanni) et Philippe Sly (Leporello)
Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart
Wiener Staatsoper, 2021
Crédit : Michael Pöhn

S’agissant de Don Giovanni et comme vous venez de nous le rappeler, vous tiendrez le rôle de Leporello dans plusieurs productions à ce jour. Vous avez également chanté le rôle-titre au Festival d’Aix-en-Provence et à l’Opéra de Lyon. Pourriez-vous nous parler du « grand seigneur méchant homme » et comment votre interprétation du rôle a évolué à ce jour ?

J’ai incarné deux Don Juan très différents dans les deux productions françaises auxquelles j’ai pris part. Dans la mise en scène de Jean-François Savadier au Festival d’Aix, mon personnage était du genre branché « hipster » et très physique et les commentaires sur les réseaux sociaux alternaient entre l’adoration – Mozart serait trop fier a affirmé l’un des apologues de la production – et la haine, d’aucuns lui reprochant son hyperactivité et son insensibilité.  À Lyon en 2018, et influencé de tout évidence par l’approche de Frank Castorf, le metteur en scène hongrois David Marton fait de Don Juan un être bipolaire, fragile et nettement moins viril. Dans cette production, le metteur en scène me faisait lire un extrait de la traduction française du roman Die Welt i Rücken (Le Monde dans le dos) de l’écrivain allemand Thomas Melle. Dans mon monologue, je devais ainsi exposer la bipolarité de mon personnage. Lors de l’une des représentations et pendant la lecture de l’extrait dans ce français international qui ne masquait sans doute pas mon accent québécois d’anglophone, un spectateur a crié « on veut du Mozart ». Celui-ci m’a véritablement déstabilisé et j’ai dû vraiment me retenir pour ne pas lui dire d’aller se faire foutre ou mieux encore, dans ma langue, de l’envoyer chier ! J’ai donc défendu le concept du metteur en scène et ai choisi d’y aller à fond, de m’approprier son idée pour mieux la vendre. [...]

Et qu’en est-il de ce Don Giovanni que vous allez chanter à l’Opéra de Québec dont la première aura lieu  le 14 mai 2022 ?

Je suis honoré de cette invitation et je me suis réjoui de chanter dans notre Capitale nationale, d’autant que j’ai eu peu d’occasions de prendre part à des productions scéniques au Québec depuis le début de ma carrière professionnelle. J’ai surtout pris part à des concerts avec orchestre et des opéras en version de concert, en particulier avec Kent Nagano et l’Orchestre symphonique de Montréal. J’ai chanté aussi à plusieurs reprises avec Les Violons du Roy. Je compte travailler très fort pour mieux maîtriser ce rôle somme toute exigeant et difficile, qui requiert un effort immense sur le plan vocal et que je n’ai pas interprété depuis 2018. J’ai retrouvé avec bonheur Julie Boulianne et Florie Valiquette et j’ai eu le plaisir de faire la connaissance d’Anaïs Constant et de Doug MacNaughton, mon Leporello. J’ai été on ne peut plus fier de chanter le rôle de Don Giovanni devant les membres de ma famille qui ont fait le voyage de La Tuque pour venir m’entendre.

Philippe Sly (Don Giovanni) et  Doug MacNaughton (Leporello)
Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart... en répétition
Opéra de Québec, 2022
Photographie : Jessica Latouche

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Nous vous rappelons que le texte intégral de cet entretien paraîtra dans le numéro 29 (Été 2022) de la Revue québécoise d'art lyrique à laquelle vous pouvez vous abonner en cliquant ici.

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