Critiques

CRITIQUE - Une distribution d'enfer pour Don Giovanni!

CRITIQUE - Une distribution d'enfer pour Don Giovanni!


Florie Valiquette (Zerlina) et Philippe Sly (Don Giovanni) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographie: Louise Leblanc

Mettant de l’avant une distribution formée de certaines des plus grandes voix québécoises s’illustrant notamment à l’international, la production de Don Giovanni de l’Opéra de Québec était sans doute fortement attendue par les mélomanes de la province – d’autant plus que le soir de sa première concordait avec la fin de l’obligation du port du masque dans les lieux publics. Ce n’est pas tous les jours que nous avons la chance de voir des artistes comme le baryton-basse Philippe Sly, l’un des Don Giovanni les plus prisés du moment, la mezzo-soprano Julie Boulianne et la pétillante Florie Valiquette réunis sur une scène ici, au Québec. Dirigée d’une main de maître par Jean-Marie Zeitouni, cette production de Don Giovanni s’est somme toute avérée un succès.

L’imposant décor imaginé par Julie Lévesque – une grande structure composée d’une plateforme surélevée au centre de laquelle trônait un grand escalier entouré de divers arches – constituait un décor unique qui prenait diverses significations selon les scènes.  Si quelques changements étaient parfois apportés afin d’aider le public à repérer les divers lieux – ajout de tables et de chaises pour les scènes se déroulant dans le château de Don Giovanni, vignes descendant du plafond pour signifier l’extérieur – il était parfois difficile de distinguer exactement où se déroulait l’action. D’autant plus que dans Don Giovanni se déploient plusieurs histoires simultanément : le décor et la mise en scène sont des éléments clés afin de permettre à l’auditoire de garder le fil.

Il incombe cependant de souligner que le jeu d’éclairage de Nyco Desmeules servait parfaitement la trame narrative et constituait en ce sens un point de repère intéressant pour le public. Quant aux costumes dessinés par Émily Wahlman, le tout était somme toute traditionnel : seul Don Giovanni sortait un peu du lot avec sa redingote mauve à l’arrière de laquelle étaient accolés des diamants. Agrémenté de ses petites lunettes fumées rondes, son accoutrement s’apparentait à celui des chanteurs rock des années 1980.  

Anais Constans (Donna Anna), Jonathan Boyd (Don Ottavio), Julie Boulianne (Donna Elvira), Florie Valiquette (Zerlina), Philippe Sly (Don Giovanni) et Geoffroy Salvas (Masetto) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographie : Louise Leblanc

En ce qui a trait aux divers personnages, le clou du spectacle est sans conteste Philippe Sly, qui incarne à merveille un Don Giovanni enjôleur et manipulateur. Déjà d’une sensibilité impressionnante, son jeu scénique est agrémenté par divers effets vocaux qui confèrent au personnage une humanité presque dérangeante. Le timbre aéré, doux et sans vibrato insistant qu’il emploie dans le célèbre air d’amour « Là ci darem la mano », a probablement fait fondre plus d’un cœur dans la salle. Et que dire de son utilisation de l’espace! Si la mise en scène par moment statique a parfois pu nuire à l’expressivité de certains personnages, les gestes et déplacements de Sly ont parfaitement servi les émotions qu’il voulait communiquer; il semblait complètement habité de son personnage.

À ses côtés, Anaïs Constans a aussi volé la vedette durant le premier acte en démontrant une grande agilité vocale, ainsi qu’une forte projection. La soprano a rendu avec vigueur les multiples émotions associées au personnage de Donna Anna : de la douceur et la fragilité à la furie et la vengeance. L’un des moments forts de la soirée a sans conteste été le trio masqué qu’elle a chanté durant le premier acte avec Julie Boulianne (Donna Elvira) et Jonathan Boyd (Don Ottavio). Ce dernier a d’ailleurs incarné un Don Ottavio on ne peut plus expressif. S’il a su nous captiver par la grande maîtrise de son chant dans le premier acte, il semblait moins confiant durant la seconde partie de l’œuvre. 

Jonathan Boyd (Don Ottavio), Alain Coulombe (Le Commandeur) et Anaïs Constans (Donna Anna) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographie: Louise Leblanc

Julie Boulianne a pour sa part incarné avec brio le rôle de Donna Elvira, qu’elle a d’ailleurs déjà tenu au Théâtre des Champs-Élysées lors d’une production à Paris en 2016. Sa puissance vocale a parfaitement rendu justice au caractère de son personnage, le plus souvent très enflammé. Doug MacNaughton a offert un Leporello convaincant, dont les diverses pitreries ont à plusieurs reprises déclenché l’hilarité dans l’auditoire. Son imitation de Don Giovanni durant le deuxième acte a été particulièrement réussie – dommage cependant que certains de ses airs rapides aient été quelque peu avalés par la masse orchestrale. Geoffroy Salvas a quant à lui excellé dans son rôle de Masetto et n’a pas manqué de faire rire le public à quelques reprises. Il était le plus souvent accompagné de Florie Valiquette, dont le timbre cristallin s’agençait parfaitement à la naïveté de Zerlina. Finalement, Alain Coulombe a su convier au Commandeur toute la stature qui lui revient; on a cependant remarqué quelques petits écarts vocaux vers la fin de la représentation ainsi qu’un vibrato parfois peu convaincant. 

Si la mise en scène s’est avérée intéressante, on regrette néanmoins qu’elle n’ait pas davantage tenté de contrer certains aspects machistes de cet opéra au sujet sensible, surtout en 2022. Certes, la scène finale moralisatrice a été supprimée à la demande du directeur de l’Opéra de Québec Jean-François Lapointe, ce qui a permis d’accentuer la descente aux enfers du personnage cruel qu’est Don Giovanni. Cependant, certains moments de la mise en scène auraient pu bénéficier d’une réactualisation afin de faire sortir la femme du stéréotype lyrique dont elle est bien souvent victime à l’opéra. 

Il incombe finalement de souligner le remarquable travail des musiciennes et des musiciens de l’Orchestre symphonique de Québec, sous l’excellente direction de Jean-Marie Zeitouni : l’ensemble a su conférer à l’œuvre toute l’énergie qui la caractérise. En somme, c’est un magnifique cadeau qu’a offert l’Opéra de Québec à son public en réunissant cette distribution des plus talentueuses sur la scène du Grand Théâtre. Cette production nous aura permis d’apprécier le grand talent des artistes lyriques de chez nous, que l’on espère d’ailleurs avoir la chance de revoir sur les scènes lyriques de la province bientôt!

Alain Coulombe (Le Commandeur) et Philippe Sly (Don Giovanni) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographies: Louise Leblanc

****

Don Giovanni

Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Lorenzo da Ponte
Production : Opéra de Québec
Grand Théâtre de Québec, 14 mai 2022

INT : Philippe Sly (Don Giovanni), Anaïs Constans (Donna Anna), Julie Boulianne (Donna Elvira), Jonathan Boyd (Don Ottavio), Florie Valiquette (Zerlina), Alain Coulombe (Il Commendatore), Doug MacNaughton (Leporello), Geoffroy Salvas
DM : Jean-Marie Zeitouni
ORC : Orchestre symphonique de Québec
MES : Bertrand Alain

Production
Partager: