CRITIQUE - Don Giovanni à Québec : macabre et réjouissant!
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Anais Constans (Donna Anna), Jonathan Boyd (Don Ottavio), Julie Boulianne (Donna Elvira), Florie Valiquette (Zerlina), Philippe Sly (Don Giovanni) et Geoffroy Salvas (Masetto) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographie : Louise Leblanc
C’est la deuxième fois de son histoire que l’Opéra de Québec aborde Don Giovanni de Mozart, 20 ans après celui que dirigeait alors Bernard Labadie, mis en scène par Serge Denoncourt, avec Russell Braun dans le rôle-titre. Pour clore cette saison post-pandémique et, finalement, sans couvre-visages obligés, le nouveau directeur général et artistique Jean-François Lapointe a vu grand et a gagné son pari : une distribution solide, une mise en scène bien pensée et une direction musicale pétillante.
Le décor est signé Julie Lévesque, une scénographe bien connue à Québec, et les éclairages fort réussis, de Nico Desmeules. Des arches, une galerie en hauteur – sur laquelle les voix perdaient cependant un peu de leur éclat – un grand escalier et quelques accessoires plantent un décor unique convenant autant à la maison de Donna Anna, qu’à un cimetière ou à la salle à manger de Don Giovanni.
Bertrand Alain ayant situé l’intrigue à la fin du XIXe siècle plutôt que dans l’Espagne du XVIIe siècle, les personnages – surtout les femmes – évoluent dans les élégants costumes créés par Emily Wahlman. En dehors de cette transposition, le metteur en scène est resté fidèle au dramma giocoso de Lorenzo Da Ponte dans lequel, au XXIe siècle, on rit parfois jaune quand on voit comment les femmes sont perçues par des hommes tantôt abuseurs, tantôt paternalistes. Durant l’ouverture, les personnages, figés sur scène, reviennent peu à peu à la vie, tirant Don Giovanni de son sommeil éternel, comme pour annoncer la catastrophe finale et nous en expliquer la cause. À la demande de Jean-François Lapointe, l’opéra prend fin avec la mort spectaculaire de Don Giovanni, supprimant ainsi l’épilogue moralisateur des ses victimes. Tout est dit, finalement …
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Philippe Sly (Don Giovanni) et Florie Valiquette (Zerlina) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographie : Louise Leblanc
C’est un agile et svelte Don Giovanni que celui de Philippe Sly – avec quelques contorsions à la Elvis! – dont la voix est dans l’ensemble à la fois puissante et d’une grande palette de nuances et d’intonations. Il a l’arrogance et le cynisme voulus pour montrer le peu d’estime qu’il porte aux femmes, en même temps que ce charme et cette persuasion qui les font toutes craquer, comme on a pu s’en rendre compte dans son duo avec Zerlina, « Là ci darem la mano » et sa sérénade du deuxième acte.
Doug MacNaughton, un habitué de l’OdQ, campe un Leporello parfois rebelle et insolent, et a brillé dans l’air du catalogue qu’il déroulait sous l’œil effaré de Donna Elvira. Alain Coulombe en impose en Commandeur, tant par sa voix que par son jeu : voir le vieillard descendre péniblement l’escalier et provoquer en duel l’agresseur de sa fille inspirait la compassion, tandis que son impressionnante statue annonçait un châtiment exemplaire.
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Alain Coulombe (Le Commandeur) et Philippe Sly (Don Giovanni) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographie : Louise Leblanc
J’ai aimé la façon dont ont été rendus Don Ottavio et le paysan Masetto. Le fiancé de Donna Anna, chanté par le ténor américain Jonathan Boyd était loin du personnage un peu fade et mièvre qu’on a tendance à voir en lui, et communiquait beaucoup de passion au soldat prêt à tout pour venger celle qu’il aime. La voix est solide, souple, riche en nuances et en belles notes tenues (« Dalla sua pace » et « Il mio tesoro »). Même chose pour l’excellent baryton Geoffroy Salvas qui a dépoussiéré le rôle de Masetto, enmontrant qu’il ose tenir tête à Don Giovanni malgré les risques qu’il encourt, et qu’il voit clair dans la légèreté de Zerlina.
Les trois femmes de l’opéra ont été très bien servies : une sublime Donna Anna , chantée par la Française Anaïs Constans dont le legato expressif et velouté, l’ampleur de la voix, les subtils pianissimi et la musicalité font ressortir la passion, la colère et le désespoir de la victime de Don Giovanni. Il fallait entendre son récit dramatique lorsqu’elle reconnaît en lui son agresseur, et son magnifique air « Or sai chi l’onore ! ».
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Philippe Sly (Don Giovanni) et Julie Boulianne (Donna Elvira) dans Don Giovanni, Opéra de Québec, 2022
Photographie : Louise Leblanc
J’ai eu un coup de cœur pour la mezzo-soprano Julie Boulianne, vocalement et scéniquement très à l’aise en la passionnée et malheureuse Donna Elvira (« Ah! fuggi il traditor! »), trahie mais toujours prête à donner une seconde chance à Don Giovanni. Elle a fait notamment une entrée remarquée avec l’air « Ah, chi mi dice mai » qui exprimait toute sa rage. Enfin, Florie Valiquette a mis en évidence avec beaucoup de finesse l’ambiguïté de la paysanne Zerlina, amoureuse, certes, de son Masetto (« Batti, batti, o bel Masetto »), mais qui ne dirait pas non à Don Giovanni, éblouie par ses belles paroles et son statut social.
Côté instrumental, les récitatifs étaient soutenus par un pianoforte – prêté par les Violons du Roy – et un violoncelle. L’Orchestre symphonique de Québec était en pleine forme, et les cordes, d’une remarquable transparence. La direction fluide et enthousiaste de Jean-Marie Zeitouni insufflait tant de dynamisme et d’énergie que, parfois, les chanteurs peinaient à garder le tempo.
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Don Giovanni
Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Lorenzo da Ponte
Production : Opéra de Québec
Grand Théâtre de Québec, 14 mai 2022
INT : Philippe Sly (Don Giovanni), Anaïs Constans (Donna Anna), Julie Boulianne (Donna Elvira), Jonathan Boyd (Don Ottavio), Florie Valiquette (Zerlina), Alain Coulombe (Il Commendatore), Doug MacNaughton (Leporello), Geoffroy Salvas
DM : Jean-Marie Zeitouni
ORC : Orchestre symphonique de Québec
MES : Bertrand Alain
Don Giovanni
Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Lorenzo da Ponte
Orchestre : Orchestre symphonique de Québec
- Production
- Opéra de Québec
- Représentation
- Grand Théâtre de Québec , 14 mai 2022
- Direction musicale
- Jean-Marie Zeitouni
- Interprète(s)
- Philippe Sly (Don Giovanni), Anaïs Constans (Donna Anna), Julie Boulianne (Donna Elvira), Jonathan Boyd (Don Ottavio), Florie Valiquette (Zerlina), Alain Coulombe (Il Commendatore), Doug MacNaughton (Leporello), Geoffroy Salvas
- Mise en scène
- Bertrand Alain