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CRITIQUE - Opéra McGill : Orlando en quête de raison

CRITIQUE - Opéra McGill : Orlando en quête de raison

Orlando, Opéra McGill, 2022
Photographie : Tam Photography

Quand on le regarde de loin, l’opéra est un genre artistique drapé de mystère et de surnaturel. On pense en général aux athlètes de la voix, au glamour de l’orchestre, à la rutilance des sons.  Pourtant, quiconque a déjà participé à une production pourra vous le dire, la situation est bien différente derrière le décor. Entre les accessoires à replacer, la mécanique des changements de costumes, l’équipe technique qui se met en place pour le déplacement des décors, la chaleur des lumières et surtout cette odeur particulière, un subtil mélange de poussière de rideaux et de fébrilité, l’opéra est avant tout un art humain et vivant.

Pour une production universitaire, quelques-uns de ces éléments transparaissent parfois et c’est ce qui rend ces productions si intéressantes. On voit ici des artistes en plein développement avec tout ce que cela implique d’honnêteté et de transparence. Pour qui sait l’apprécier, l’expérience revêt une saveur toute particulière. Afin d’offrir un terreau fertile à ces jeunes pousses, il est primordial de leur fournir un tuteur qui saura les questionner dans leurs tâtonnements. À ce chapitre, il convient de souligner le travail monumental effectué par Hank Knox à la tête de l’orchestre baroque. Combien de chanteurs et d’instrumentistes ont eu la chance d’approfondir leur connaissance de ce style sous sa direction?

Orlando était la dernière occasion de le voir diriger l’opéra baroque de McGill, initiative qui existemaintenant depuis plus d’une vingtaine d’années. Le départ de Hank Knox laisse de grands souliers àchausser, comme ont pu en témoigner les applaudissements chaleureux à son endroit. Son travail sur la texture de l’orchestre et l’aisance des chanteurs était perceptible tout au long de l’opéra. Une mention particulière à Olivia LaPointe dans le rôle d’Angelica ainsi qu’à Kristen De Marchi en Medoro. Leursdeux timbres se marient à merveille et mademoiselle LaPointe affiche une compréhension du style soutenue par un goût indéniable. Quant à Ian Sabourin en Orlando, il brave avec brio les tempi audacieux de l’orchestre lors de ses nombreuses vocalises. Michaela O’Connor, qui interprète Dorinda,semble un peu timide lors de ses premières mesures, mais retrouve rapidement son aplomb et revient en force à l’acte 3 avec un impressionnant « Amor è qual vento ». Pour finir, Evan Lindberg livre une performance vocale convaincante, en particulier lors de l’air « Sorge infausta una procella » qui nous révèle le talent du jeune baryton-basse.  

S’il est aisé d’encenser la dimension musicale de l’opéra, il n’en va pas forcément de même avec la trame narrative. Il faut tout d’abord préciser qu’Orlando était jumelé à la production de Don Giovanni. En effet, COVID oblige, l’opéra de Mozart initialement prévu pour le 30 janvier a dû être reporté au printemps. Les deux œuvres sont donc contraintes de cohabiter dans une même conception scénique. Patrick Hansen, directeur d’Opéra McGill, invite d’ailleurs le spectateur à se rendre sur son blogue pour de plus amples explications. Malheureusement pour nous, si le texte décrit en profondeur le processus créatif de Don Giovanni, à aucun moment n’est-il simplement mention d’Orlando. On comprend vite que la direction s’est concentrée sur l’œuvre de Mozart, reléguant l’opéra d’Haendel au second plan.

Orlando, Opéra McGill, 2022
Photographie : Tam Photography

Mais le vrai talon d’Achille du spectacle réside dans son traitement des éléments dramatiques d’Orlando. Les surtitres, dont les nombreuses fautes de français n’aident en rien la compréhension de la trame narrative, impliquent que l’acte 2 se déroule dans le passé, ellipse temporelle difficilement justifiable dans une œuvre dramatique du XVIIIe siècle. On ignore donc la règle d’unité de temps et le livret est désavoué. Originalement tiré d’un poème épique par l’AriosteOrlando raconte l’histoire du chevalier Roland amoureux d’Angélique qui, elle, n’a d’yeux que pour Médor. Roland est pris d’une rage meurtrière lorsqu’il apprend que son amour n’est pas réciproque. C’est alors que le sage Zoroastre protège les deux amants et use de sa magie afin de délivrer Roland de ses passions. Pour ce faire, il présente au héros diverses illusions qui ont pour effet de lui faire retrouver la raison. Cet opéra incarne ainsi le triomphe du logos sur l’émotif. Cependant, l’approche de Patrick Hansen consiste à unir deux opéras différents en faisant du rôle de baryton-basse, voix présente dans les deux œuvres, le même personnage. Zoroastre, censé représenter la raison et la sagesse, est alors révélé sous les traits d’un dément arborant une camisole de force afin de servir les choix dramatiques de Don Giovanni. La mise en scène d’Orlando, en plus de valser avec des concepts contraires à la dramaturgie classique, contredit l’histoire même de l’œuvre par ses choix. N’eut-il pas été plus juste d’orienter le spectacle dans une direction en accord avec la philosophie stoïcienne dont l’influence sur l’œuvre d’origine est indéniableAurait-on pu donner la chance à des étudiants de découvrir une œuvre baroque sous toutes ses coutures plutôt que sous le seul prisme de la partition?

Quel spectacle aurait alors pu être Orlando si on avait veillé à la mise en contexte de l’œuvre et si le texte n’avait pas servi de prétexte.

Orlando

Opéra de Georg Friedrich Haendel en trois actes sur un livret inspiré de Orlando furioso de l’Aristote, librettiste non-identifié

Production
Opéra McGill
Représentation
Salle Polack , 26 mars 2022
Direction musicale
Hank Knox
Instrumentiste(s)
Orchestre baroque de McGill
Interprète(s)
Ian Sabourin (Orlando), Olivia LaPointe (Angelica), Michaela O’Connor (Dorinda), Kristen De Marchi (Medoro) et Evan Lindberg (Zoroastro)
Mise en scène
Patrick Hansen
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