CRITIQUE - Conservatoire de Montréal : Retrouvailles avec le public autour du Juniper Tree
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Amélie Baland-Capdet (gauche) et Justine Ledoux (droite)
Photographie : Jean-Sébastien Jacques
La pandémie a contraint les institutions artistiques à faire preuve d’imagination dans le choix de leur répertoire. Port du masque, distanciation sur scène et autres mesures ont eu pour conséquence de rendre impraticable une bonne partie des œuvres opératiquesconventionnelles. C’était donc un choix prudent de la part du Conservatoire d’opter pour The Juniper Tree, un opéra de Philip Glass qui convoque sur scène un nombre restreint de chanteurs, avec des interactions limitées et dont la musique est interprétée par un petit ensemble d’une quinzaine de musiciens solistes. Nous avons finalement pu assister à ce spectacle vivant, qui a constitué un retour sur scène devant public après deux années de silence en salle pour les étudiants de la classe d’opéra.
Si le choix de cet opéra est original, il n’en est pas moins discutable. Le sujet, tout d’abord, adapté d’un conte de Grimm, est plutôt lourd dans les circonstances actuelles : un jeune garçon, dont la mère est morte en lui donnant naissance, grandit en étant détesté par sa marâtre, qui finit par le décapiter et faire croire à sa propre fille qu’elle est responsable du meurtre. La marâtre prépare alors une soupe avec le sang du jeune garçon, qu’elle sert au père de l’enfant à son insu : il en redemande ! Le jeune défunt est alors transformé en oiseau, il reçoit des présents de la part des villageois pour la qualité de son chant et les utilise pour récompenser sa demi-sœur ainsi que son père et tuer sa belle-mère avant de reparaître sous sa forme initiale et de retrouver le cocon familial. Soit. Le conte de Grimm lui-même – qui finit d’une tout autre manière – emprunte son sujet à de nombreux mythes, notamment celui de Philomèle qu’on retrouve dans les Métamorphoses d’Ovide.
En outre, l’opéra en tant que tel est assez déséquilibré. Le livret, d’une grande pauvreté, semble avoir confondu minimal et simpliste, ce qui ne permet pas d’aller chercher le plein potentiel expressif des étudiants sur scène. La musique est quant à elle très réussie. La partition, écrite pour des instruments solistes, demande une précision métronomique et un parfait équilibre des voix pour être appréciée à sa juste valeur. Un défi de taille qui, dans l’ensemble, est relevé avec brio par les musiciens sous la direction de Jacques Lacombe. L’alliance de la musique et du chant, plutôt inégale, révèle quelques moments de grande beauté, comme la longue scène débutant l’acte II, lors de laquelle l’enfant reçoit tour à tour une chaîne en or, des souliers rouges et une meule de la part des villageois.
Justine Ledoux, dans le rôle de la marâtre, allie une voix remarquablement communicative et un jeu très convaincant. Dans le moindre regard, dans le phrasé du chant, dans la colère ou la retenue, on sent toute la méchanceté préméditée mêlée de folie du personnage. On notera également une très belle performance vocale du chœur, tout en subtilité et en équilibre.
La mise en scène, signée Marie-Nathalie Lacoursière, incorporait des éléments de danse baroque dans le mouvement du chœur d’oiseaux. La nature des mouvements collait tout à fait à l’aspect minimaliste de l’œuvre, et la chorégraphie ajoutait une belle plus-value à l’opéra, contrastant parfois avec le caractère statique de certains personnages. Les masques-becs d’oiseaux permettaient aux choristes de respecter les règles sanitaires tout en apportant un élément de costume crédible et pertinent. En revanche, il était indispensable de connaître les détails de l’intrigue, sans quoi de nombreuses situations déterminantes de l’opéra (le sortilège qui ouvre l’œuvre, la mort de l’enfant ainsi que celle de la marâtre) restaient incompréhensibles. Heureusement, l’excellent travail des éclairages jouait pour beaucoup dans la restitution des ambiances et la compréhension de certaines parties de l’intrigue, permettant de créer des dynamiques que la partition, assez linéaire, ne permettait pas toujours.
La direction de Jacques Lacombe était irréprochable. D’une grande clarté et d’une grande précision, le chef a tenu l’orchestre tout au long de cette heure et demie malgré les changements de tempi incessants et le caractère répétitif de l’œuvre. Le cadre solide qu’il a donné à ses étudiants et étudiantes leur a laissé l’espace pour donner du relief et des courbes dramatiques à la partition.
The Juniper Tree constituait donc, à plusieurs points de vue, un défi de taille pour les étudiants et étudiantes des classes de musique et d’opéra du Conservatoire de Montréal. Musicalement et vocalement, ils sont parvenus à rendre une interprétation convaincante, réussissant le plus souvent à pallier les défauts et inégalités de l’œuvre elle-même. Le rendu sur scène aurait été magnifié par un travail plus approfondi sur le jeu scénique et l’utilisation de l’espace.
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The Juniper Tree, opéra de Philip Glass et Robert Moran en deux actes sur un livret d’Arthur Yorinks
Production : Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal
Théâtre Rouge du Conservatoire, 18 mars 2022
INT : Alexandre Duguay (Husband), Aneska Diament (Wife), Natacha Demers (Son),Justine Ledoux (Stepmother), Amélie Baland-Capdet (Daughter)
DM : Jacques Lacombe
CC : Romain Pollet
MES : Marie-Nathalie Lacoursière
ORC : Orchestre de chambre du Conservatoire
- Production