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CRITIQUE - Suzie LeBlanc : L’intelligence au service des sentiments

CRITIQUE - Suzie LeBlanc : L’intelligence au service des sentiments

L’ambiance était propice au recueillement en ce beau dimanche ensoleillé du 13 mars dernier. L’accueil des placiers, les vitraux Tiffany et les bancs d’église au balcon : autant d’éléments auxquels les fidèles de la Salle Bourgie avaient dû renoncer durant la pandémie, dont la date du concert coïncidait justement avec le deuxième anniversaire. En ce sens, le concert de Suzie LeBlanc avait quelque chose de symbolique. Il nous rappelait l’importance du spectacle vivant, nous reconnectait avec ce cumul de détails qui donne sa raison d’être à l’expérience musicale. À l’heure des captations vidéo, qui nous ont permis de garder un lien avec nos artistes pendant 24 longs mois, il faut nous souvenir que les concerts peuvent être plus que des images et du son. Quel plaisir alors d’assister à un spectacle, un vrai !

Pour l’occasion, Suzie LeBlanc s’est alliée avec son collègue de longue date, Sylvain Bergeron, et s’est également entourée de la violoniste Marie Nadeau-Tremblay et du flûtiste Vincent Lauzer. La formation intimiste a ainsi proposé une collection d’airs de cour du XVIIe sièclejumelée à des airs traditionnels acadiens. La note de programme nous apprend que ceux-ci seraient originaires de différentes régions de France, et si le concert ne propose pas une filiation directe entre les répertoires de cour et traditionnel, l’exercice de juxtaposition permet d’en constater le cousinage. L’air de cour de Michel Lambert Ma bergère est tendre et fidèle, un incontournable du compositeur, trouve son écho dans la chanson acadienne Le Berger. On y retrouve tout le lexique pastoral versaillais du XVIIe siècle. Ces textes dépeignent l’Arcadie antique de la belle Sylvie aux rigueurs extrêmes et des bergers volages pleurant leurs infortunes à l’ombre des boccages, mais dans une langue plus familière à nos oreilles. Ce niveau d’attention aux détails a été retrouvé tout au long du concert. L’air d’Honoré d’AmbruysPour charmer les ennuis, présente quant à lui un personnage s’adressant directement à un rossignol, oiseau qui était aussi présenté dans l’air de Michel Lambert, Je suis aimé de celle que j’adore. Cet air a d’ailleurs été interprété de façon spectaculaire par Vincent Lauzer, dont le phrasé limpide et la virtuosité guide l’écoute du public à travers une bourrasque de notes et d’ornements sans jamais en perdre la direction. 

Suzie LeBlanc livre pour sa part une prestation inspirée et sensible. Commençons par témoigner du plaisir de voir un air d’Honoré d’Ambruys figurer au programme. Ces œuvres font preuve d’un rare raffinement, étant fortement et savamment ouvrées, ce qui demande une interprétation soignée que nous a offert la sopranoSa voix claire et élégante rend à merveille les multiples inflexions nécessaires à l’ornementation française. Toutefois, c’est véritablement lors de l’air Jugez de ma douleur que les artistes ont fait montre de leur maîtrise. L’alliage du violon et de la flûte à bec produit un effet des plus convaincants, s’il fallait encore en convaincre certains, en offrant un écrin intimiste qui sied parfaitement à la finesse des airs de cour. C’est dans ce décor que la voix éthérée de Suzie LeBlanc semblé commander au temps de s’arrêter sur la salle Bourgie, comme pour bercer le public.

Le concert offrait également quelques moments dynamiques, notamment lors des airs traditionnels tel que Le Coq et la poule qui constitue assurément une des belles découvertes du programme. Et que dire de l’arrangement du Coucou de Louis-Claude Daquin, interprété avec esprit par Marie Nadeau-Tremblay et Vincent Lauzer, servant de préambule à l’histoire de la chanson Le MatouIl ne faut passer sous silence le travail d’arrangement effectué par les musiciens pour le spectacle. Il sera d’ailleurs possible d’en apprécier l’ouvrage à l’écoute du disque qui reprendra le programme du concertà paraitre prochainement chez Atma Classique.

Les amateurs de musique baroque auront certainement décelé, çà et là, des pointes de prononciation restituée. À ce sujet, il faut partager notre enthousiasme à l’idée d’entendre de plus en plus fréquemment cette approche du texte à Montréal. On regrettera peut-être simplement que cet aspect semble avoir été timide lors de ce concert. Nul doute que la soprano a abordé cette dimension de son travail avec tout le sérieux et le professionnalisme qui lui sont caractéristiques. Néanmoins, il faut tout de même reconnaitre que les productions québécoises, en général, sont loin d’égaler les enregistrements de France à ce chapitre. En attendant le jour où public et artistes embrasseront une approche plus affirmée de la prononciation restituée, nous auront toujours les airs De la cour de Louis XIV à Shippagan pour nous réconforter.

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Suzie LeBlanc, soprano : De la cour de Louis XIV à Shippagan !
Chants traditionnels acadiens et airs de cour du XVIIe siècle
Production : Salle Bourgie
Salle Bourgie, 13 mars 2022

INT : Suzie LeBlanc (soprano)
INS : Vincent Lauzer (flûtes), Marie Nadeau-Tremblay (violon baroque) et Sylvain Bergeron (théorbe et guitare baroque)

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