CRITIQUE - OSL : Un Chant de la terre pour le temps présent
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Photographie : Brenden Friesen
Mercredi soir, la fébrilité des membres de l’Orchestre symphonique de Laval (OSL) était palpable alors que la formation effectuait un retour en salle après la fermeture annoncée à la toute fin de l’année 2021 en raison de la pandémie. En guise de prélude, et pendant que le public prenait place dans la salle André-Mathieu, deux ensembles formés d’élèves du Collège Laval avaient été invités à se produire devant le public. Charmante initiative de l’OSL, qui permet de mettre en valeur la relève musicale en plus d’amener les jeunes au concert. Une mention doit être accordée au quatuor de saxophones formé de Michel Akel, Yasmine El-Diwary, Vincent Gagnon et Valérie Rousseau pour leur performance très énergique.
Après ce petit hors-d’œuvre musical, le programme de la soirée débutait avec une création du compositeur québécois Simon Bertrand, à qui la Société de musique contemporaine du Québec consacrait un concert complet en janvier dernier. Schwanenlied ou en français « Le Chant du cygne » a été pensé, de l’aveu du compositeur lui-même, comme un miroir du Chant de la terre : c’est-à-dire que l’œuvre de Bertrand suit à revers le parcours du poème symphonique de Mahler, de l’adieu à la pulsion de vie. Il y a une parenté thématique certaine avec Le Chant de la terre et à l’instar de cette œuvre, la proposition de Bertrand se caractérise par une grande activité et beaucoup de changements de texture, mais de manière encore plus serrée. Il faut dire que le compositeur décrit sa création comme un rembobinage en accéléré de l’œuvre de Mahler, ce qui est apparu tout à fait évident. En somme, cette pièce a constitué une belle entrée en matière aboutissant sur un crescendo orchestral d’une grande puissance, dirigé avec brio par le chef Alain Trudel.
Deux solistes de grand calibre ont été invités pour interpréter Le Chant de la terre, soit la mezzo-soprano Susan Platts et le ténor John Mac Master. Il y a longtemps que les musiciens et musiciennes de l’OSL attendaient de jouer cet opus mahlérien puisque le concert du 2 mars était en fait une reprise d’un concert qui a dû être annulé en raison de la pandémie. C’est donc avec une énergie communicatrice que cette deuxième et dernière œuvre du programme a été livrée au public, dont l’interprétation a toutefois souffert du défaut de cette qualité, car la balance sonore entre l’orchestre et les interprètes lyriques n’était pas toujours optimale.
John Mac Master était très investi et se laissait visiblement emporter par la musique dès les premières notes des mouvements qui lui étaient dévolus. Il est seulement déplorable que l’on ait perdu sa voix parce que l’orchestre le dépassait en intensité par moment et ce, malgré toute la puissance qu’il conviait pour son interprétation. Mais c’est là la seule ombre au tableau qui n’exige qu’un meilleur dosage des forces de l’orchestre. On ne peut en dire autant de la performance de Susan Platts, du moins dans les deuxième et quatrième mouvements. Si la balance sonore était un peu meilleure, surtout du fait qu’il s’agit de deux mouvements plus calme, l’interprétation de la mezzo-soprano manquait de relief. La voix était très juste, la diction, d’une clarté impeccable, mais il manquait une étincelle. Heureusement, cette impression s’est dissipée au dernier mouvement, « Der Abschied » (L’Adieu), véritable pièce de résistance du Chant de la terre, dont la finale a été exécutée avec beaucoup de douceur par Susan Platts.
La cohésion entre les musiciens et musiciennes de l’OSL et leur chef Alain Trudel est sans nul doute l’un des points forts de la soirée. L’énergie que met le chef dans sa direction passe très bien dans le jeu des instrumentistes. Le résultat : un Chant de la terre très contrasté entre des moments sereins et apaisés et d’autres très sombres, voire même inquiétants, à l’image du temps présent. Il faut souligner qu’en explorant le thème de l’impermanence de la vie, ce concert était présenté à un moment très opportun. Non seulement était-il présenté le soir du Mercredi des Cendres, premier jour du Carême dans le calendrier liturgique, une période qui vise à rappeler à l’être humain qu’il n’est que poussière et qu’il redeviendra poussière au terme de son passage dans ce monde, mais surtout, cette thématique de la fragilité de la vie entrait en résonance avec le contexte actuel, marqué par la guerre. Le chef Alain Trudel a d’ailleurs proposé d’interpréter l’hymne national ukrainien en soutien à cette communauté pour clore la soirée ; un moment de recueillement nécessaire en ces temps incertains, accueilli avec beaucoup de solennité par le public.
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Le Chant de la terre de Gustave Mahler et Schwanenlied de Simon Bertrand
Production : Orchestre symphonique de Laval, salle André-Mathieu, 2 mars 2022
INT : Susan Platts (mezzo-soprano) et John Mac Master (ténor)
DM : Alain Trudel
ORC : Orchestre symphonique de Laval
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