CRITIQUE - Les multiples facettes de l’Enfer
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Photographie : Brent Calis
Le 1er mars 2022, à la salle Ludger-Duvernay du Monument-National, les interprètes de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal et les instrumentistes de l’Orchestre de l’Agora ont donné la première représentation du concert Enfers des Lumières – une seconde représentation a eu lieu le lendemain. De l’initiative du directeur musical de l’Orchestre de l’Agora Nicolas Ellis, des airs d’opéras baroques français ont été réunis sous les thèmes de l’amour, du désespoir et de la vengeance. Ellis, par le mariage d’airs de Jean-Baptiste Lully, Jean-Philippe Rameau et Christoph Gluck, ainsi que de passages instrumentaux de Jean-Féry Rebel, propose un éventail de représentations de l’enfer ; du domaine d’Hadès avec Orphée et Eurydice à la fatalité du destin d’Iphigénie, en passant par la relation entre l’amour et la vengeance chez Armide.
Les divers personnages ont pris vie grâce aux costumes d’Elysabeth Daigle, aux maquillages de Justine Denoncourt et Victoria Chiron et aux perruques et coiffures de Pierre Lafontaine. Ils ont interagi sur une scène noire, épurée et malléable, dans une mise en scène de François Racine. Outre le tulle qui séparait les 26 instrumentistes des 10 artistes lyriques, les éléments de décor étaient des escaliers noirs à configuration variable. Les costumes, d’inspiration grecque, reflétaient les sujets mythologiques à la source des œuvres au programme. À ceux-ci s’ajoutaient toutefois des accessoires modernes, particulièrement des chaussures, sorte d’actualisation du vêtement grec. L’enchaînement d’airs, chacun d’entre eux brillamment choisi et interprété, présente différentes facettes de ce thème des enfers et de sa manifestation dans la vie des personnages.
Malgré cette présentation visuelle, somme tout simple mais efficace, et l’interprétation des chanteurs et des chanteuses, généralement superbe, plusieurs choix de production questionnables ont influencé la compréhension de ce concert. Sans programme ni indication de titre des airs, il est impossible d’identifier avec assurance l’origine de ce qui se prête à l’écoute. L’enchaînement des airs en continu fait en sorte que peu de signaux permettent de repérer les changements d’opéras et il en résulte une confusion. De plus, si la mise en parallèle du même air tiré de deux versions d’Armide – mises en musique par Lully, puis Gluck – se prête effectivement à une comparaison intéressante, cela s’applique également à leurs interprètes qui se souscrivent alors à une démarche analogue.
Il y a tout de même eu de très beaux moments au cours de ce concert. Les deux soli du baryton Geoffroy Salvas, membre de l’Atelier lyrique de 2015 à 2017, étaient considérablement éloquents, son expérience étant particulièrement notable. La soprano Vanessa Croome, est parvenue à captiver le public par sa théâtralité corporelle et sa maîtrise de la scène, s’amusant ouvertement avec le public et suscitant rires et applaudissements. Mention spéciale à l’Armide de Kirsten LeBlanc, puis à Sarah Dufresne, pour son air solo empreint d’une détresse saisissante.
Dans tous les cas, l’annonce de la captation de la représentation et de sa future diffusion est bien au plaisir de tous et toutes. Ce concert, dans mon cas le premier depuis la cessation des arts vivants en raison de la pandémie, est certainement une belle reprise de contact avec le milieu artistique.
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Enfers des Lumières
Extraits tirés d’opéras de Gluck, Lully, Rameau et extraits d’œuvres de Rebel
Production : Orchestre de l’Agora et l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal
Salle Ludger-Duvernay, Monument-National, 1er mars 2022
INT : Marc-Antoine Brûlé (ténor), Vanessa Croome (soprano), Sarah Dufresne (soprano), Mishael Eusebio (ténor), Sydney Frodsham (mezzo-soprano), Kirsten Leblanc (soprano), Matthew Li (basse), Martina Myskohlid (mezzo-soprano), Geoffroy Salvas (baryton) et Lucie St-Martin (soprano)
DM : Nicolas Ellis
ORC : Orchestre de l’Agora
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