CRITIQUE - Le Rossignol sauvage : élégante et délicate rencontre musicale
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Du 26 janvier au 2 février 2022, dans le cadre de sa série Concerts intimes, le Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM) a présenté en webdiffusion le concert Le Rossignol sauvage, mettant à l’honneur Susie Napper et Mélisande Corriveau, gambistes au sein de l’ensemble Les Voix humaines, et le baryton cri et métis Jonathon Adams. Avec pour thématique la circulation de la musique française en Amérique au XVIIe siècle, le concert a proposé un enchaînement de 17 courtes pièces faisant s’alterner airs de cour, chansons dites métisses, et pièces instrumentales arrangées pour duo de violes de gambe. Le timbre instrumental de l’ensemble a été enrichi à différents moments par l’apport du dessus de viole et de la flûte, joués par Corriveau, et du tambour, joué par Adams.
Si les chansons considérées métisses (J’ai fait une maîtresse, En montant la rivière, Le Petit rossignol sauvage, etc.) étaient généralement sans auteur, les airs de cour et les pièces instrumentales ont permis à l’auditoire d’apprécier la musique d’un éventail de compositeurs français, dont le répertoire a vraisemblablement été importé en Amérique : Jean de Sainte-Colombe (Les Roulades, Les Pleurs, Menuet tendre), Marin Marais (Fantaisie en écho), André Campra (Doux échos), Sébastien Le Camus (Amour cruel), etc.
Il a résulté de cette combinaison un enchaînement très élégant, élaboré avec beaucoup de finesse, notamment grâce aux arrangements de Napper qui faisaient s’entremêler les lignes mélodiques de chaque instrument avec clarté et souplesse. À travers une formation somme toute épurée, les interprètes ont donné à entendre des textures musicales délicatement contrastantes. À titre d’exemple, les finales en pizzicato dans En montant la rivière et Tout le long du rivage ont conféré à ces pièces un caractère encore plus intimiste, proche de la berceuse. Soulignons au passage la somptueuse voix d’Adams, toute en profondeur, faisant montre d’une belle sobriété et d’une impeccable maîtrise des ornements baroques.
Le pari proposé par Napper était audacieux : imaginer comment le répertoire musical français a voyagé jusqu’en Amérique, et comment il a côtoyé un nouveau répertoire composé in situ. En ce sens, on s’interroge quant à la signification qui est accordée au qualificatif « métis » qui est accolé à des chansons qu’on a eu l’habitude de qualifier de traditionnelles. Sont-elles métisses au sens large, c’est-à-dire issues d’une rencontre entre plusieurs cultures quelles qu’elles soient, ou le terme est-il employé selon l’acception identitaire précise où on désigne le mélange entre les cultures des Premiers peuples et celles de l’Europe ? Le choix des mots laisse perplexe, comme il n’est pas aisé de savoir s’il résulte d’une catégorisation rigoureuse ou d’une appropriation lexicale qui fait bon genre par les temps qui courent. D’ailleurs, une meilleure contextualisation générale du répertoire interprété aurait été la bienvenue, ne serait-ce que pour apprécier la signification du très bel air cri chanté en langue mitchif par Adams en ouverture du concert. À cet égard, on pouvait s’attendre à ce que la vidéo introductive présentée sur le site web du SMAM donne des compléments d’information. On y apprend entre autres que la rencontre musicale entre la France et les Premiers peuples au Québec s’est cristallisée à travers la viole de gambe, comme la découverte d’une famille de violes à l’intérieur d’un mur du Couvent des Ursulines de Québec permet d’attester que les jeunes filles autochtones y apprenaient l’instrument. La présentation somme toute assez lisse de cette information fait un peu grincer des dents : si l’image de jeunes filles autochtones apprenant la viole de gambe semble séduisante a priori, on ne peut faire l’économie de l’atrocité du processus d’acculturation dans lequel cet apprentissage s’est inscrit. En ce sens, si Le Rossignol sauvage constitue un ouvrage musical d’une très grande qualité, le manque de précautions et de nuances dont il semble faire preuve quant au traitement des filiations entre cultures musicales européenne et autochtone en teinte l’appréciation.
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Le Rossignol sauvage
Airs de cour de compositeurs français du XVIIe siècle et chansons métisses
Production : Studio de musique ancienne de Montréal
Webdiffusion
INT : Jonathon Adams (baryton)
INS : Mélisandre Corriveau (viole de gambe) et Susie Napper (viole de gambe)
- Production