CRITIQUE - La Compilation : Les artistes lyriques de demain à l’honneur
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Marc-Antoine Brûlé, Vanessa Croome, Georffrey Schellenberg et Lucie St-Martin dans La Compilation, Opéra de Montréal, 2021
Photographie: Brent Calis
Dimanche dernier a eu lieu une première à la Salle Wilfrid-Pelletier depuis le début de la pandémie : les artistes en résidence de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal ont eu droit à une salle comble pour la présentation de leur concert intitulé « La Compilation ». La fébrilité était palpable autant sur scène que dans l’auditoire durant cet évènement prenant la forme d’un pot-pourri d’airs tirés d’opéras connus. Les interprètes de l’Atelier lyrique étaient accompagnés de Catherine Daniel et d’Éric Laporte, l’une et l’autre ayant fréquenté l’Atelier lyrique dans les débuts de leur parcours, ainsi que de l’Orchestre Métropolitain dirigé par Jacques Lacombe.
Le programme du concert était novateur : bien que les opéras qui y figuraient soient pour la plupart très connus –notamment Carmen (1875), Le Barbier de Séville (1816), Samson et Dalila (1877) –, les airs choisis s’éloignaient de ce que l’on retrouve habituellement dans ce type d’événement. L’illustre air de Carmen « L’oiseau est un oiseau rebelle » a été troqué pour le « Trio des cartes “Mêlons ! – Coupons !” », alors que le célèbre « Una furtiva lagrima »de L’Elisir d’amore (1832) a plutôt laissé place au duo de Dulcamara et Nemorino « Voglio dire… Obbligato, obbligato ». Cela a donc permis au public de se familiariser avec un répertoire des plus diversifiés, qui a d’ailleurs été interprété avec une grande virtuosité.
Au terme de ce concert, une seule conclusion est possible : la présente cohorte de l’Atelier lyrique est formée d’artistes lyriques d’un grand talent, tant en ce qui a trait à leurs qualités vocales qu’à l’aisance de leur jeu scénique. C’est la soprano Sydney Frodsham et la basse Matthew Li qui ont ouvert le bal dans une performance énergique de « O que muso, que figura » tiré de L’Italienne en Algérie (1813) de Rossini. Cet air leur a permis de démontrer un grand professionnalisme en plus de prouver le vaste étendu de leurs aptitudes vocales : malgré un problème technique –puissante réverbération provenant des micros qui servaient à l’amplification du son – tous deux ont interprété leur air sans aucune interruption, sans même que cela ne transparaisse dans leur jeu. Cet air nous a permis de constater la grande projection de Sydney Frodsham, ainsi que sa justesse irréprochable. Si Matthew Li a lui aussi offert une performance de qualité, il a davantage brillé dans l’air « Voglio dire… Obbligato, obbligato ». Son interprétation du personnage de Dulcamara était à la fois comique et bien rendue, mettant de l’avant toute la profondeur de son registre. Pour cet air, il était accompagné du jeune Marc-Antoine Brûlé qui, malgré son talent apparent, se démarquait un peu moins que ses collègues de par sa projection vocale moins puissante et son jeu scénique qui semblait affecté par le stress.
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Marc-Antoine Brûlé, Sarah Dufresne, Geoffrey Schellenberg, Mishael Eusebio, Matthew Li et Martina Myshkohlid dans La Compilation, Opéra de Montréal, 2021
Photographie: Brent Calis
Parmi les nombreux airs comiques présentés durant le concert, « Ah quel colpo… Zitti, zitti, piano, piano » du Barbier de Séville de Rossini interprété par Mishael Eusebio, Martina Myshkohlid et Geoffrey Schellenberg s’est distingué par sa cocasse mise en scène. L’attachant trio a fait rire le public à plus d’une reprise. Mishael Eusebio incarnait le personnage d’Almaviva à la perfection, tandis que Geoffrey Schellenberg, dans le rôle de…, nous a impressionné avec son timbre chaleureux : nul doute que nous le verrons d’ici quelques années sur les grandes scènes internationales.
Pour sa part, Martina Myshkohlid a livré une solide performance tant dans le Barbier de Séville que dans le « Trio des cartes “Mêlons ! – Coupons !” », qui a définitivement été le clou du spectacle. Le début du trio confié aux sopranos Sarah Dufresne et Martina Myshkohlid mettait bien en valeur les forces des deux chanteuses. L’époustouflante maîtrise de leur technique vocale leur a permis de se laisser aller dans une complète incarnation de leur personnage. Rejoignant ses deux collègues pour la finale de l’air, la puissance du registre grave de Sydney Frodsham se prêtait à merveille au rôle de Carmen.
Prouvant une fois de plus que le talent était à l’honneur lors de ce concert, Kirsten Leblanc, Vanessa Croome et Lucie St-Martin se sont toutes les trois démarquées par leur présence scénique. Vanessa Croome a fait s’esclaffer la salle avec ses mimiques comiques dans le « Mein Herr Marquis » tiré du Die Fledermaus (1874) de Strauss Jr. Kirsten Leblanc a quant à elle incarné son personnage avec une grande émotivité dans le « Klänger der heimat » provenant du même opéra. La maîtrise de sa technique vocale était sans faille et mérite une mention spéciale. Finalement, Lucie St-Martin – fidèle à son habitude – était énergique et divertissante dans son extrait de Cendrillon (1899) de Massenet.
Pour clore cet excellent concert, l’Opéra de Montréal a fait appel à deux grands artistes : la mezzo-soprano Catherine Daniel et le ténor Éric Laporte. Un silence profond régnait dans la salle lors de l’interprétation de la mezzo-soprano de l’air « Voi lo sapete, o mamma » tiré de Cavalleria Rusticana (1890) de Mascagni par Daniel : l’émotion était à son comble. Il était aussi agréable de retrouver le ténor spécialiste du répertoire de Wagner sur la scène montréalaise après tant d’années passées à l’international. La puissance de sa projection vocale était digne du grand wagnérien qu’il est. Leur duo final clôturait à merveille cet évènement qui a constitué une belle démonstration du talent des artistes de cette cohorte de l’Atelier lyrique. Ils seront à suivre dans le futur : de grandes carrières les attendent assurément !
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Geoffrey Schellenberg, Lucie St-Martin, Jacques Lacombe, Kirsten Leblanc, Mishael Eusebio dans La Compilation, L'Opéra de Montréal, 2021
Photographie: Brent Calis
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La Compilation
Airs tirés d’opéras de Verdi, Rossini, Mozart, Donizetti, Mascagni, Massinet, Bizet, Strauss Junior, Wagner, Saint-Saëns
Production : Opéra de Montréal
Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, 21 novembre 2021
INT : Marc-Antoine Brûlé (ténor), Vanessa Croome (soprano), Mishael Eusebio (ténor), Sarah Dufresne (soprano), Sydney Frodsham (mezzo-soprano), Kirsten Leblanc (soprano), Matthew Li (basse), Martina Myshkohlid (mezzo-soprano), Geoffrey Schellenberg (baryton), Lucie St-Martin (soprano), Éric Laporte (ténor), Catherine Daniel (mezzo-soprano)
DM : Jacques Lacombe
ORC : Orchestre Métropolitain (OM)
- Production