Critiques

CRITIQUE - Contes et mélodies : Un programme qui invite à la réflexion

CRITIQUE - Contes et mélodies : Un programme qui invite à la réflexion

Jean-Philippe Sylvestre et Julie Boulianne, Contes et mélodies, OCM, 2021
Crédit : Brent Calis

Le 23 novembre dernier, l’Orchestre classique de Montréal (OCM) a présenté à la salle Pierre-Mercure le concert Contes et mélodies, deuxième concert de sa saison 2021-2022. Cette saison, dédiée au centenaire de la violoncelliste et cofondatrice de l’OCM Lotte Brott, rend hommage par sa programmation à des compositrices, et surtout, à des interprètes femmes. Lors du concert Contes et mélodies, cette célébration a été enrichie par la mise à l’honneur de la création autochtone en Amérique du Nord, d’une part par un hommage rendu en début de concert à la très célébrée poétesse et réalisatrice innue Joséphine Bacon, et d’autre part par la présentation de l’œuvre Adieu aux guerriers, du compositeur Régent Levasseur, par la violoniste réputée Tara-Louise Montour, originaire de Kahnawake. Cet hommage à la création autochtone a été encadré par la présentation de trois œuvres de Maurice Ravel, soit Shéhérazade et Cinq Mélodies populaires grecques, interprétées par la mezzo-soprano Julie Boulianne – accompagnée par le pianiste Jean-Philippe Sylvestre dans la seconde œuvre –, puis Petite Symphonie à cordes, laquelle a permis de mettre les musiciens et musiciennes de l’OCM à l’avant-plan. Shéhérazade a été interprétée dans un arrangement efficace de François Vallières, altiste et arrangeur en résidence de l’OCM. 

Le plus grand succès de ce concert a très certainement été l’interprétation par Montour et les musiciens et musiciennes de l’OCM de l’Adieu aux guerriers de Levasseur. L’œuvre consiste en un thème et variations centré autour du chant chippewa du même titre et se distingue par sa qualité cinématographique de même que par la finesse des contrastes entre les occurrences du thème. Le propos est certes grave : la section médiane de l’œuvre évoque l’horreur des génocides dans les communautés autochtones et la puissance des émotions provoquées par le constat des massacres. Néanmoins, la musique demeure lumineuse, empreinte d’espoir, et en ce sens doit beaucoup à l’excellence du jeu de Montour, ample, souple et engagé.

Tara-Louise Montour, Contes et mélodies, OCM, 2021
Photographie : Brent Calis

Les mêmes qualificatifs s’appliquent à la performance de Boulianne, malgré une impression de légère crispation dans l’interprétation de Shéhérazade, dissipée au retour de l’entracte pour Cinq Mélodies populaires grecques. Boulianne et Sylvestre y ont d’ailleurs incarné un duo solide, énergique et sensibleLa Petite Symphonie à cordes a quant à elle permis de mettre en évidence l’agilité et l’engagement des instrumentistes de l’OCM, qui sont parvenus à faire ressortir la finesse de l’écriture de Ravel, de même que la subtilité de ses contrastes.

En ce qui a trait au programme dans sa globalité, on peut difficilement faire l’économie d’une réflexion quant à la juxtaposition de Shéhérazade – fantasme orientaliste s’il en est un – à Adieu aux guerriers, une œuvre visant à éveiller les consciences quant aux enjeux passés et présents des communautés autochtones. Une telle conscientisation oblige à écouter avec une oreille critique les textes mis en musique par Ravel, qui célèbrent non pas l’Orient, mais bien une projection de celui-ci dans l’imaginaire européen. Si le choix artistique m’a laissée perplexe, je n’exclus pas pour autant la possibilité qu’il constitue un moyen de poursuivre l’essentielle réflexion sur la capacité fluctuante de la musique à véhiculer des représentations culturelles parfois émancipatrices, parfois oppressives.

En ce sens, on constate une certaine tension entre l’objectif apparent du concert, soit rendre hommage aux artistes femmes et aux cultures autochtones, parfois dans la même foulée, et l’omniprésence dans le programme des œuvres de Ravel (trois sur les quatre présentées), compositeur hautement canonique, qui agit finalement comme trame de fond implicite. On en vient à se demander qui est réellement mis à l’honneur durant ce concert. Il serait certes réducteur de limiter cet enjeu de représentation à un choix : en fin de compte, le programme proposé par Boris Brott et l’OCM est un succès de par la cohérence des couleurs musicales qu’il permet d’apprécier. Mais la question demeure ouverte quant aux articulations possibles – et les très tenaces hiérarchies qui s’y révèlent – entre le canon classique et les nécessaires ouvertures sur l’autre qu’exige notre temps.

Le concert Contes et mélodies est disponible en webdiffusion en différé jusqu’au 7 décembre. Pour plus de détails, cliquez ici.

****

Contes et mélodies
Œuvres de Maurice Ravel et Régent Levasseur
Production: Orchestre Classique de Montréal (OCM)
Salle Pierre-Mercure, 23 novembre 2021
En webdiffusion jusqu’au 7 décembre 2021

INT : Julie Boulianne (mezzo-soprano), Tara-Louise Montour (violon)
DM : Boris Brott
PIA : Jean-Philippe Sylvestre
ORC : Orchestre classique de Montréal (OCM)


Production
Partager: