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CRITIQUE - L’Orangeraie : La machine infernale de la guerre

CRITIQUE - L’Orangeraie : La machine infernale de la guerre

Nicholas Burns (Amed) et Arthur Tanguay-Labrosse (Aziz) dans L’Orangeraie, Chants Libres, 2021
Photographie: Vanessa Fortin

La création de L’Orangeraie a enfin eu lieu, contre vents et marées, malgré les troubles engendrés par la pandémie. Et c’est tant mieux, car l’œuvre mérite amplement d’être vue et entendue. 

Plus tôt cette année, Pauline Vaillancourt et le réalisateur Manuel A. Codina avaient préparé une captation en ligne de quelques extraits de l’opéra, ce qui s’est avéré être une réalisation artistique autonome, voire même indépendante de l’œuvre originale. Nous avions alors écrit : « Certes, ce parti pris fait en sorte que l’histoire de L’Orangeraie nous échappe. Les extraits nous dévoilent des personnages et des bribes de leur destin, mais ce n’est pas assez pour en comprendre les ressorts dramatiques. C’est néanmoins assez pour nous donner envie de découvrir ce nouvel avatar de l’œuvre de Larry Tremblay, qui a d’abord été un roman, puis une pièce de théâtre, avant d’épouser la forme lyrique. Il faudra donc attendre un peu pour que cette nouvelle création se dévoile complètement à nous. » L’attente en valait la peine !

L’œuvre est forte, puissante. Un véritable coup de poing qui nous expose les affres de la guerre, les viles fourberies des illuminés de tout acabit qui la font, mais surtout les horreurs et les tourments qui déchirent celles et ceux qui subissent ces tragédies inexplicables, mais tristement inexorables. Le livret de Larry Tremblay est percutant et étonnant dans son traitement, car la violence et l’horreur de cette histoire ne sont jamais explicites, bien qu’ils soient omniprésents dans la trame psychologique des personnages. Le spectacle est donc tragique (le contraire serait difficile avec un tel sujet !), mais la réalisation ne sombre jamais dans une démonstration macabre gratuite. L’auteur fait confiance à l’intelligence du spectateur, tant pour imaginer le pire que pour nourrir l’espoir.

La musique de Zad Moultaka soutient admirablement les tourments psychologiques de ces personnages. Elle semble être conçue un peu comme une musique de film, supportant et colorant l’image et l’histoire. Il y a bien sûr des sonorités, des couleurs et des inflexions issues de la musique du Moyen-Orient (on devine que l’histoire se déroule dans cette région du monde, bien qu’aucun nom de pays ne soit spécifié), mais ce n’est pas un orientalisme de pacotille. Moultaka a l’intelligence raffinée d’intégrer ces éléments dans une trame sonore riche et subtile à l’esthétique contemporaine et résolument incarnée. Il faut aussi souligner de nombreuses et ingénieuses trouvailles musicales : en particulier dans l’utilisation des percussions. En comparaison avec le traitement orchestral, l’écriture vocale est peut-être un peu moins éloquente, ou à tout le moins très monotone sur l’ensemble de l’œuvre. Le sprechgesang – ce parlé/chanté typique d’une certaine modernité – est utilisé pratiquement du début jusqu’à la fin de l’opéra, aidant certes à la compréhension du texte, mais lassant l’oreille par cette uniformité vocale qui fait peu de place au lyrisme. C’est un choix artistique qui se défend, certes, bien qu’il ne convainc pas tout le temps.

L’excellente distribution défendait avec conviction cette histoire et cette musique. Du lot se sont démarqués Dion Mazerolle dans la peau du terrifiant Soulayed, Nathalie Paulin dans le rôle de Tamara, la mère des jumeaux, et Stéphanie Pothier en Dalimah, la sœur de Tamara. Nicholas Burns et Arthur Tanguay-Labrosse avaient la lourde tâche de donner vie aux jumeaux. Le défi de personnifier des enfants a été plutôt réussi, notamment grâce à la conception de la partition (Amed est chanté par un contre-ténor et Aziz par un ténor au registre aigu), mais surtout au talent d’acteur de ces deux chanteurs, dirigés avec doigté. Quant à la mise en scène de Pauline Vaillancourt, qui prenait place dans une scénographie de Dominique Blain, elle était simple et respectueuse du livret. L’ensemble de la production révélait une attention de qualité à présenter avec sensibilité et une certaine poésie la destinée de ces personnages marqués par la guerre.

L’Orangeraie est clairement une des belles productions créées par Chants libres, qui soulignait ses 31 ans d’existence avec ce spectacle. Cet opéra possède la signature des ambitions de cette compagnie d’art lyrique : un admirable équilibre entre audace et émotion. Il est maintenant à souhaiter que cet opéra s’inscrive dans le répertoire, qu’il soit joué, vu et entendu, ici comme ailleurs.

L’Orangeraie sera présentée au Théâtre le Diamant à Québec les 5 et 6 novembre 2021. Pour acheter vos billets, c'est ici.

L’Orangeraie, Chants Libres, 2021
Photographie: Vanessa Fortin

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L’Orangeraie
Opéra en un acte de Zad Moultaka sur un livret de Larry Tremblay
Production : Chants libres et Nouvel Ensemble Moderne
Monument national
19, 20 et 21 octobre 2021

INT : Nicholas Burns (Amed), Dion Mazerolle (Soulayed), Alasdair Campbell (Halim), Simon Chaussé (Kamal), Jacques Arsenault (Zahed), Arthur Tanguay-Labrosse (Aziz), Nathalie Paulin (Tamara), Stéphanie Pothier (Dalimah) et Jean Maheux (Mikaël)
DM : Lorraine Vaillancourt
ORC : Nouvel Ensemble Moderne
MES : Pauline Vaillancourt

Production
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