Albertine en cinq temps : Promesse d’un chef-d’œuvre à venir
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Michèle Losier, Chantal Dionne, Marie-Claude Roy, Chantal Lambert, Catherine St-Arnaud, Véronique Gauthier et Monique Pagé, Albertine en cinq temps – L’opéra, Théâtre du Rideau Vert, 19 août 2021
Crédit : Vincent Marchessault
Mené par un collectif de femmes rassemblées autour de Nathalie Deschamps et les Productions du 10 avril, le projet de porter à la scène lyrique la pièce de Michel Tremblay Albertine en cinq temps apparait des plus prometteurs. Tout d’abord parce que le texte et la forme de la pièce originale offre des avenues tout à fait intéressantes pour le genre lyrique, mais surtout parce que l’adaptation proposée par le Collectif de la lune rouge semble avoir été mûrement réfléchie. Les premiers extraits présentés le 19 août dernier à l’issue d’une résidence obtenue au Théâtre du Rideau vert laisse présager un bel avenir à cette œuvre encore en cours de création.
La soirée visait un double objectif : certes, il s’agissait de dévoiler quelques passages de l’œuvre, mais c’était aussi l’occasion de remercier les donatrices et les donateurs ayant contribué à concrétiser ce projet et qui formaient l’essentiel du public présent dans la salle. L’évènement prenait ainsi l’apparence d’une réunion intime au cours de laquelle cinq airs, un sextuor et quelques passages dialogués ont été présentés, donnant un bel aperçu des potentialités de cet opéra.
L’œuvre est portée par une distribution de haut calibre : Chantal Lambert, Monique Pagé, Chantal Dionne, Michèle Losier et Catherine Saint-Arnaud se présentent respectivement comme Albertine, à 70, 60, 50, 40 et 30 ans. Véronique Gauthier, qui prenait le rôle de Madeleine, la sœur d’Albertine, remplaçait à pied levé Marianne Lambert qui avait dû se désister quelques jours avant la vitrine sur l’œuvre présenté à la fin du mois d’août. Parmi ces artistes d’exceptions, Chantal Lambert et Michèle Losier se distinguent d’entre toutes, la première pour la finesse et la sensibilité de son jeu et la seconde, pour l’intensité qu’elle met à incarner une Albertine complètement désabusée.
La version lyrique de l’œuvre de Michel Tremblay maintient la langue de l’auteur : le joual. C’est là un trait qui ajoute à la singularité de l’œuvre et la compositrice Catherine Major a su tenir compte de la prosodie et des inflexions de cette langue colorée dans son écriture musicale et le résultat est très intelligible. Seul ombre au tableau : les interprètes semblent parfois un peu gênées par le joual qu’elles n’ont pas l’habitude de chanter. Peut-être cela explique-t-il que le niveau de langue soit par moment inégal, et que l’on entende parfois une alternance de « moi » et de « moé ». Il s’agit évidemment d’un détail, mais qu’il importerait de soigner.
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Chantal Dionne, Chantal Lambert et Monique Pagé, Albertine en cinq temps – L’opéra, Théâtre du Rideau Vert, 19 août 2021
Crédit : Vincent Marchessault
Catherine Major a écrit une partition toute en douceur pour cette œuvre. Dès l’ouverture, la pianiste Marie-Claude Roy déploie une musique aux traits minimalistes, rappelant un peu la musique de film de Michael Nyman. Son interprétation est fluide et soutient bien les chanteuses malgré une nuance trop forte au début qui a un peu masqué l’entrée de Chantal Lambert. L’air d’Albertine à 50 ans, interprété par Chantal Dionne sur un rythme entraînant pourrait cependant prendre plus d’expansion, non seulement dans le jeu de la chanteuse, mais aussi dans la musique elle-même. Un constat similaire s’applique à l’air dévolu à Catherine St-Arnaud qui interprète une Albertine à 30 ans, enragée par sa situation. Si le style mélismatique de cet air peut bien rendre l’état d’esprit du personnage, la musique pourrait s’envoler davantage. Par ailleurs, le choix de mise en scène qui fait ramper la chanteuse sur scène alors qu’elle exprime une colère intense semble incongru. À 30 ans, quand on a la rage au cœur, il me semble qu’on se tient debout… au moins au début de l’air. Est-il nécessaire, de surcroit, de rappeler que chanter recroquevillée en boule n’est pas optimal, ce qui peut aussi avoir un impact sur la performance de l’interprète ?
Il n’en demeure pas moins que la vitrine sur Albertine en cinq temps – L’opéra, a permis de découvrir une œuvre qui s’annonce intéressante. Parmi les moments forts de la soirée, il faut souligner le sextuor rassemblant toute la distribution qui est très beau, surtout dans les passages en tutti, qui donnent envie d’en entendre davantage. Sur le même mode, l’épilogue est aussi une belle page de musique qui renferme la promesse d’un chef-d’œuvre, mais il faudra patienter : ce n’est que dans un an, à l’automne 2022, que l’on pourra entendre le résultat final.
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Michèle Losier, Chantal Dionne, Chantal Lambert, Monique Pagé et Catherine St-Arnaud, Albertine en cinq temps – L’opéra, Théâtre du Rideau Vert, 19 août 2021
Crédit : Vincent Marchessault
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Albertine en cinq temps – L’opéra
Opéra de Catherine Major sur un livret du Collectif de la lune rouge d’après la pièce de Michel Tremblay
Production : Productions du 10 avril
Théâtre du Rideau vert, 19 août 2021
INT : Chantal Lambert (Albertine à 70 ans), Monique Pagé (Albertine à 60 ans), Michèle Losier (Albertine à 40 ans), Catherine St-Arnaud (Albertine à 30 ans), Véronique Gauthier (Madeleine)
MES : Nathalie Deschamps
PIA : Marie-Claude Roy
- Production