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CRITIQUE - UN RÉJOUISSANT BARBIER À QUÉBEC

CRITIQUE - UN RÉJOUISSANT BARBIER À QUÉBEC


Hugo Laporte, baryton (Figaro)
Alain Coulombe, basse (Basilio)
Andrew Haji, ténor (Comte Almaviva)
Doug MacNaughton, baryton (Bartolo)
Sarah Bissonnette, mezzo-soprano (Rosina)
Chantal Parent, soprano (Berta)
William Desbiens, baryton (Fiorello et un officier)
Photographie: Louise Leblanc

Le dernier opéra à avoir été représenté à Québec est La Traviata en octobre 2019. Il y eut ensuite la pandémie et les confinements à répétition, si bien que l’Opéra de Québec a dû annuler tout ce qui suivait, y compris son Festival d’opéra. Il a également géré un changement de direction artistique avec le départ de Grégoire Legendre et l’entrée en fonction, en septembre 2020, de Jean-François Lapointe. Ce dernier a dû repenser toute sa saison 2020-2021 et se tourner vers les webdiffusions pour garder le contact avec le public tout en permettant aux artistes lyriques de se faire entendre : après un concert-gala le 25 octobre et un concert de la Saint-Valentin, l’opéra est de retour depuis le 29 mai, en ligne pour quelques semaines, sur la scène du Grand-Théâtre, avec Il Barbiere di Siviglia de Rossini, présenté en version concert, avec sous-titres en français.

 Sans prétendre exploiter visuellement toutes les péripéties du deuxième acte, Jean-François Lapointe a réalisé une ingénieuse mise en espace de l’opéra, accompagnée d’une scénographie modeste, mais efficace de Michel Baker, un habitué de la maison : sur un écran, étaient projetés successivement un quartier de Séville, des partitions de chant suggérant une salle de musique et un balcon. L’Orchestre symphonique de Québec était au fond de la scène, dans la pénombre, ce qui à mon avis reste discutable, comme on le lira plus loin. À l’avant-scène, les chanteurs, en tenue de concert, évoluaient sur de vastes damiers qui prolongeaient ceux que l’on voyait sur l’écran et qui étaient parfaits pour le respect de la distanciation imposée par la Santé publique, tandis que les 12 choristes, membres du chœur de l’Opéra de Québec, dont il faut saluer la prestation, étaient dans les premiers rangs du parterre. Aucun contact physique, pas d’accessoires susceptibles de passer de main en main, comme des billets galants. Voilà à quoi ressemble un opéra en temps de Covid-19.

Dès l’ouverture, le chef Jean-Michel Malouf a fait preuve d’autorité et d’élégance – presque trop mozartienne –, si bien que les spectaculaires crescendos rossiniens ainsi que l’orage de l’acte 2 m’ont paru manquer de panache. Étant placé dos à dos avec les chanteurs, donc sans soutien visuel, j’imaginais son casse-tête pour leur laisser une marge de manœuvre pour reprendre leur souffle. Et il lui a fallu conserver tout son sang-froid pour contrôler leurs emballements dans les deux Finale.

La plupart des récitatifs ont été remplacés par de brefs commentaires confiés au comédien québécois Bertrand Alain qui a su assurer avec humour les transitions entre les airs.

Sept excellents chanteurs canadiens ont défendu brillamment l’œuvre de Rossini : le ténor Andrew Haji a été un solide comte Almaviva, capable autant de séduire la jeune Rosina que de camper avec bouffonnerie le soldat ivre ou le maître de musique. Dans la langoureuse cavatine « Ecco ridente in cielo » – avec un spectaculaire contre-ut - et dans l’aubade de Lindoro, toutes deux accompagnées par le guitariste David Jacques, on a apprécié la légèreté et le velouté d’une voix qui projette bien, même si elle perd un peu de son timbre et de sa précision dans les vocalises acrobatiques de Rossini. Son complice Figaro a trouvé un bel ambassadeur en la personne du baryton Hugo Laporte, dont on suit depuis quelques années la remarquable ascension. Sa présence scénique, notamment dans les duos avec le comte et avec Rosina, parvient à nous faire oublier qu’il s’agit d’une version de concert, et son « Largo al factotum », un peu prudent, va sans doute s’étoffer avec les années.

La Rosina de Sarah Bissonnette est pétillante à souhait. La mezzo-soprano possède une belle palette vocale, et ses brillantes colorature sont enlevées avec aisance, comme elle l’a démontré dans le célèbre « Una voce poco fa » qu’elle avait déjà chanté sur cette même scène lors du gala du 14 février, ainsi que dans son duo avec Figaro, « Dunque io son ».

J’avais de grandes attentes en ce qui concerne l’air de la calomnie de Don Basilio, mais la performance de la basse Alain Coulombe manquait de ce venin perfide propre à cette page. Je le sentais poussé dans le dos par l’orchestre. J’ai beaucoup apprécié le baryton Doug MacNaughton, entendu à plusieurs reprises à l’Opéra de Québec, notamment dans des opéras de Rossini. Irrésistiblement drôle et doté d’une voix puissante, il est entré facilement dans la peau du docteur Bartolo, à la fois tyrannique et facile à berner.

Deux belles révélations concernaient la relève : la soprano Chantal Parent, dans le rôle de Berta, la domestique pleine de bon sens, qui a révélé son talent dans l’air « Il vecchiotto cerca moglie », et le baryton William Desbiens, un Fiorillo débordant d’énergie et vocalement remarquable.

Présenté gratuitement comme les deux autres activités pandémiques de l’Opéra de Québec, Le barbier de Séville a été vu en direct par plus de 1200 personnes, un chiffre qui a doublé dès le lendemain et qui devrait continuer de grossir. Il reste à souhaiter que les spectateurs et spectatrices, invités à faire un don à la compagnie, se montrent généreux.  

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Le Barbier de Séville de Rossini
Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec
DM : Jean-Michel Malouf 
INT : Andrew Haji, ténor ; Hugo Laporte, baryton ; Sarah Bissonnette, mezzo-soprano ; Doug MacNaughton, baryton ; Alain Coulombe, basse ; Chantal Parent, soprano ; William Desbiens, baryton
ORC : Orchestre symphonique de Québec

Webdiffusion : 29 mai 2021
Accessible en ligne jusqu’au 12 juin. 

Production
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