CRITIQUE- Opéra de Québec- Gala de la Saint-Valentin- Des mots d'amour essentiels
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Mathew Dalen
Opéra de Québec, Gala
14 février 2021
Crédit : Louise Leblanc
« Les mots d’amours vont-ils guérir les maux d’amours ? » sont les vers du poète québécois Éloi de Grandmont, mis en musique par Lionel Daunais, qui ont tenu de prémisse à la thématique ainsi qu’à la programmation que l’Opéra de Québec et son nouveau directeur artistique Jean-François Lapointe proposaient pour ce concert/gala de la Saint-Valentin.
L’amour à l’opéra n’est pas un thème novateur ; de multiples intrigues gravitent autour de ce sentiment. Loin toutefois de tomber dans le cliché larmoyant, le répertoire mis de l’avant déclinait ce sentiment sous ses différents aspects, allant de l’amour tendre et innocent, à l’amour fougueux et parfois douloureux. Ceci offrait un contraste dynamique entre les différentes pièces et permettait aux artistes lyriques d’exprimer un éventail d’émotions différentes. Une distribution composée des sopranos France Bellemare, Jessica Latouche, Carole-Anne Roussel et Suzanne Taffot, de la mezzo-soprano Sarah Bissonnette, du ténor Matthew Dalen et des barytons Dominique Côté et Hugo Laporte s’est démarquée à différents égards, tant en ce qui concerne leur prestance vocale que la justesse de leur interprétation.
Ainsi, le Duo de Papageno et Papagena de Mozart, chanté par Suzanne Taffot et Dominique Côté, avait tout de l’excitation de l’amour juvénile, avec une interprétation particulièrement pétillante et guillerette de la part du baryton. Ce dernier s’est également illustré dans l’art du bel canto avec l’air du Docteur Malatesta, « Bella siccome un angelo » de Don Pasquale. Suzanne Taffot a quant à elle offert une interprétation sensible de l’indémodable « O mio babbino caro » de Puccini auquel on pardonnera par moment un léger manque de soutien.
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Suzanne Taffot
La mezzo-soprano Sarah Bissonnette, dont le portrait a été dressé récemment par Judy-Ann Desrosiers (pour lire l’article, cliquez ici), est de celles qui ont flirté avec une multitude d’émotions pendant le concert ; de la décidée Rosine du Barbier de Séville (« Una voce poco fa ») avec ses vocalises maîtrisées, en passant par le confident Nicklausse (Barcarolle) pour finir avec une coquette et truculente Grande-Duchesse de Gérolstein, déclamant son amour pour les hommes en uniformes avec « Ah ! Que j’aime les militaires ». On notera cependant, malgré une voix riche et agile, certains moments où la présence dramatique, sentie et crédible, prenait le pas sur l’écoute de l’orchestre, ce qui a occasionné de légers décalages avec celui-ci.
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Sarah Bissonnette
Pour demeurer dans la présence scénique, il nous faut saluer le jeu de la soprano Jessica Latouche, qui incarnait avec justesse une Zerlina incrédule, au côté du baryton Hugo Laporte, impérieux en Don Giovanni, dans le fameux duo « Là ci darem la mano ». Jesssica Latouche a également récidivé dans l’air du rouet « Il ne revient pas », où elle a présenté une Marguerite déchirante qui chantait son abandon après avoir été délaissée par Faust. Dans le même registre, le rôle de la grande tragédienne Adrienne Lecouvreur seyait merveilleusement à France Bellemare, qui a livré une performance tout en nuance de l’air « Ecco : respiro appena ».
Le duo « Parle-moi de ma mère », tiré de l’opéra Carmen de Bizet, interprété avec le ténor Matthew Dalen se voulait une évocation de l’affection qu’un enfant a pour sa mère. Les deux interprètes dont les voix s’épousaient à merveille ont présenté un air sensible et nostalgique. C’est également toute en émotivité et dans ce même sentiment que Carole-Anne Roussel a interprété avec une belle clarté l’air de Leïla « Comme autrefois », tiré des Pêcheurs de perles de Bizet, chantant le souvenir de son amour pour Nadir.
Les deux pages de musique russe qui garnissaient ce programme, tirées des opéras Eugène Onéguine et La Dame de Pique de Tchaïkovski, ont été parmi les moments musicaux les plus poignants. Matthew Dalen a livré une performance sensible et touchante de l’air « Kuda, kuda vi udalilis », où le personnage de Lenski évoque avec mélancolie son amour pour Olga en attendant son duel avec Onéguine.
Quant à Hugo Laporte, celui-ci a déclamé, sous les traits du prince Eletski, son amour pour la jeune Lisa avec « Ya vas lyublyu », un des plus beaux airs du répertoire pour baryton. Cette trame amoureuse s’est poursuivie avec Hugo Laporte et Carole-Anne Roussel qui ont endossé les traits d’un des couples les plus célèbres du théâtre shakespearien, Hamlet et Ophélie. Dans le duo « Doute de la lumière », mis en musique par Ambroise Thomas, les deux interprètes ont créé un dialogue lyrique et ont construit une tension romantique qui a fini par éclater. Le concert s’est conclu sur une note d’espoir avec un tutti chantant de « C’est l’amour qui console le pauvre monde, c’est l’amour qui rend chaque jour la gaieté, c’est l’amour qui nous rendra la liberté » de l’opérette Les Saltimbanques.
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Hugo Laporte
Dirigé magnifiquement avec entrain et subtilité par Jean-Marie Zeitouni avec un Orchestre symphonique de Québec en pleine possession de ses moyens, et animé de manière dynamique par le comédien Martin Perreault, ce concert offrait un moment de répit et de tendresse au public et représentait en outre une occasion pour des musiciens de l’orchestre et de jeunes artistes lyriques de se commettre dans l’expression de leur art, une activité malheureusement rare de nos jours. Mentionnons également que ce concert a servi à rendre hommage à Grégoire Legendre, le prédécesseur de Jean-François Lapointe, qui a pris sa retraite après avoir dirigé l’Opéra de Québec pendant vingt-cinq ans.
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Jean-Marie Zeitouni
Au plus fort de l’heure et demie qu’a duré l’évènement, le concert gala de l’Opéra de Québec a attiré entre 1150 et 1180 visionnements en direct sur la plateforme Youtube et au moment d’écrire ces lignes, le concert accusait près de 6000 vues. Si le truchement du web a l’avantage indéniable de rejoindre un plus large auditoire, il amène également son lot de problématique technique. Il est en effet rare qu’une prestation musicale en salle soit victime de coupure saccadée de la transmission vidéo.
Ces petits accrocs ne sauraient cependant ternir l’ensemble de ce concert rondement mené, témoignant d’une grande humanité et dont les mots d’amours ont véritablement, pendant l’espace d’un instant, fait oublier les maux de la pandémie.
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« L’amour à l’opéra ou les mots/maux d’amours »
Production : Opéra de Québec / Orchestre symphonique de Québec
Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec, 14 février 2021
DM : Jean-Marie Zeitouni
AN : Martin Perreault
INT : France Bellemare (soprano), Jessica Latouche (soprano), Carole-Anne Roussel (soprano), Suzanne Taffot (soprano), Sarah Bissonnette (mezzo-soprano), Matthew Dalen (ténor), Hugo Laporte (baryton), Dominique Côté (baryton)
- Production