CRITIQUE - Pallade Musica – Une ville déserte : Criant de vérité

L’ensemble Pallade Musica : Elinor Frey, Tanya LaPerrière, Mélisande McNabney et Esteban La Rotta
Photographie : Élizabeth Delage
Lorsque l’ensemble Pallade Musica a conçu le concert « Une ville déserte », celui-ci devait initialement être présenté le 20 décembre dernier. Reporté au 15 janvier, une semaine après le début du couvre-feu à Montréal, le titre de ce concert était ainsi criant de vérité.
Le programme a débuté avec l’œuvre phare de la soirée, Wie liegt die Stadt so wüste (Voyez comme la ville est déserte) de Matthias Weckmann. Composé à Hambourg durant la terrible épidémie de peste en 1663, ce concerto spirituel pour soprano, basse, deux violons, trois violes de gambe et basse continue est un véritable trésor caché de musique sacrée. On comprend très bien pourquoi l’ensemble tenait à présenter cette œuvre depuis quelque temps, et a saisi l’occasion de la programmer en pleine pandémie. D’ailleurs, pour le spectateur installé confortablement à la maison, le concert diffusé sur la télévision ou l’ordinateur, il ne suffisait que de jeter un coup d’œil par la fenêtre pour contempler une ville déserte.
En ce qui concerne l’exécution, on retient tout d’abord l’interprétation impeccable des instrumentistes. On ne s’en surprend pas lorsque l’on regarde la liste des musiciennes et musiciens : on est ici face à une équipe d’étoiles de la scène baroque montréalaise. Le jeu est tout en finesse, jamais lourd et toujours au service de la trame narrative, sans non plus s’effacer au profit de celle-ci.
Dès les premières notes, la soprano Andréanne Brisson Paquin brille par sa présence scénique, ce qui est d’autant plus remarquable puisqu’il n’y a pas de public dans la salle. Elle fait preuve d’une agilité saisissante dans les ornements, toujours en respect de l’esthétique baroque, et elle réussit avec brio à nous transmettre toute la force émotionnelle du texte.

Andréanne Brisson Paquin
Photographie : Pierre-Étienne Bergeron
Alexander Dobson est, pour sa part, en plein contrôle d’une voix au registre impressionnant, ce qu’il démontre avec habileté lors de son interprétation de Erbarm dich mein, o Herre Gott (Prends pitié de moi, ô mon Dieu), de Heinrich Schütz. On note parfois une certaine lourdeur dans les vocalises, mais on est en présence d’une excellente basse que l’on espère un jour réentendre sans l’intermédiaire des haut-parleurs, qui ne rendent pas toujours justice à la subtilité de l’interprétation.
Malheureusement, l’expérience de concert à la maison a de temps à autre été entachée de quelques accrocs techniques sur le plan de la diffusion. L’équilibre sonore entre les voix et l’orchestre était parfois inégal et l’amplification du continuo, un peu lourde. Cela s’est principalement fait entendre lors de la sonate de Buxtehude, alors que la viole de gambe était occasionnellement enterrée par la basse continue. De plus, une ou des caméras en mouvement auraient pu rendre la vidéo plus vivante et nous auraient permis de mieux voir les quelques musiciennes qui ne se trouvaient pas au premier plan.
En somme, nous avons eu droit, en ce vendredi soir où les rues de la métropole s’apprêtaient à s’endormir beaucoup plus tôt qu’à l’habitude, à un autre concert d’une grande qualité qui nous a fait regretter de n’avoir pu en profiter en personne et qui rendra l’éventuel retour en salle d’autant plus satisfaisant. D’ici là, Pallade Musica nous propose d’autres programmations originales, dont une Soirée Schubert en mai prochain, avec la soprano Marie-Eve Munger. Il sera certainement intéressant d’entendre cet ensemble spécialisé en musique baroque dans un tout autre répertoire, romantique cette fois, sur instruments d’époque !
****
« Une ville déserte »
Œuvres de Matthias Weckmann, Heinrich Schütz, Johann Sebastian Bach et Dietrich Buxtehude.
INT : Andréanne Brisson Paquin (soprano), Alexander Dobson (basse)
INS : Tanya LaPerrière et Guillaume Villeneuve (violon), Elinor Frey (viole de gambe et violoncelle), Mélisande Corriveau et Susie Napper (viole de gambe), Esteban La Rotta (théorbe) et Mélisande McNabney (orgue et clavecin)
Production : Pallade Musica, Ottawa Chamberfest & Salle Bourgie
Salle Bourgie, 15 janvier 2021 (webdiffusion)
- Production