Atelier d’opéra de l’Université de Montréal - Vénus et Adonis : L’amour en version distanciée
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Agnès Ménard (Vénus) et Adonis: Ricardo Galindo (Adonis)
Vénus et Adonis
Atelier d'opéra de l'Université de Montréal, 2020
Photographie :
Courtoisie de la Faculté de musique de l'Université de Montréal
Produire un opéra comme Vénus et Adonis de John Blow en temps de distanciation sociale était une importante gageure pour l’Atelier d’opéra et de musique baroque de l’Université de Montréal. Comment traiter à distance cette relation entre deux personnages follement amoureux, censés s’embrasser sur une couche lorsque débute l’acte I ? Comment un sujet comme l’amour, avec le personnage de Cupidon, peut-il être convaincant sans contact physique ? En novembre 2020, les étudiants et étudiantes ont relevé ce défi en enregistrant l’opéra de John Blow, qui avait été monté lors d’une saison précédente. Un défi plutôt réussi étant données les circonstances.
Si le nom de John Blow (1649-1708) a été largement oublié, il n’en a pas moins été, avec Purcell, le compositeur le plus important de son époque. Tour à tour organiste de l’abbaye de Westminster, organiste de la Chapelle royale, maître de chapelle puis compositeur officiel de la Chapelle royale, John Blow a brillé en son temps comme un pédagogue important et un compositeur prolifique, particulièrement apprécié pour sa musique sacrée.
Vénus et Adonis (1683) est la seule œuvre dramatique de John Blow et le plus ancien opéra anglais connu à ce jour. Il a exercé une influence importante sur Purcell comme en témoignent les similitudes évidentes entre cet opéra et Didon et Énée qui sera composé six ans plus tard, soit en 1689. Vénus et Adonis se présente comme un « masque pour le divertissement du roi », ce qui nous donne plusieurs indications importantes quant à sa nature : il a été originellement écrit pour des voix de femmes, plus précisément une maîtresse du roi Charles II ainsi que leur fille. Il offre aussi une place importante à la danse, que l’on retrouve dans cette production. Pensé pour le divertissement, ce masque donne souvent matière à sourire ou à rire même si le récit est de nature tragique. Musicalement parlant, on y retrouve des influences multiples, notamment les tragédies en musique de Lully, et le style de Blow s’y révèle parfois sous ses plus beaux atours, comme dans le chœur final « Mourn for thy servant » qui suit la complainte funèbre de Vénus.
Dans le cadre de cet enregistrement étudiant, Vénus et Adonis doit être considéré comme un excellent exercice d’acclimatation à l’univers baroque dans sa vision globale, où danse, musique, chant et théâtre cohabitent comme différents modes d’expression d’une même pensée. À ce titre, les collaborations entre Robin Wheeler, Luc Beauséjour et Marie-Nathalie Lacoursière sont infiniment précieuses pour inculquer aux étudiants et aux étudiantes cet art complexe de l’éloquence qui traverse la période baroque. Pour l’occasion, plusieurs professionnels de la musique ancienne ont également intégré l’orchestre et conseillé les membres des ateliers. Et de fait, on sent que le travail mené sur ces différents aspects est fructueux, nous offrant une version agréable et stylistiquement cohérente.
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Marie-Nathalie Lacoursière
Les deux amants sont donc contraints par la pandémie à s’éviter, et les tendres ébats usuels laissent ici place à des jeux de poursuite et de chasse, un moyen habile d’éviter le rapprochement. La mise en scène et les chorégraphies alternent des parties distancées et d’autres, plus mouvementées, où les masques sont nécessaires, mais ceux-ci ne dérangent jamais l’œil, se fondant subtilement dans les costumes en ajoutant une touche d’humour au jeu. L’intrigue est courte, incisive, et le sort du pauvre Adonis est réglé en une petite heure pendant laquelle les scènes défilent rapidement, entrecoupées de parties dansées.
Si l’ensemble est de très bonne facture, on notera quelques bémols : la prise de son inégale amoindrit quelque peu le rendu, et même si l’opéra est court, l’absence totale de sous-titres est préjudiciable ; il faut suivre avec un synopsis ou un livret maison. Le jeu d’acteurs, sans doute mis à mal par les circonstances, nous permet difficilement de percer les émotions des personnages et de sentir la vivacité qui transparaît dans la musique. Celle-ci, malgré quelques imprécisions, respire toujours dans la bonne direction et suit justement la courbe dramatique en se muant de temps à autre en habile commentateur du récit. Vocalement, la partition ne comporte pas de grandes difficultés. Les interprètes des trois rôles principaux assument ceux-ci avec précision et aisance. Le seul véritable air de l’opéra, « Choose for the formal fool », est chanté par Cupidon à l’acte II.
Si la production 2020 de Vénus et Adonis par les membres de l’Atelier d’opéra de l’UdeM occulte certains aspects satiriques ou excessifs inhérents à l’œuvre, elle constitue un défi réussi et une excellente incursion dans l’univers baroque, entre chant, musique de scène, danse et théâtre. Il n’est point besoin de le préciser, mais une telle représentation aurait bien entendu gagné à être entendue dans une salle de concert. À un moment qui voit se banaliser la webdiffusion, il nous semble fondamental de rappeler le caractère irremplaçable de l’expérience de concert en salle, qui a tout d’essentiel, n’en déplaise à certains. Enfin, le choix de ce répertoire permet de rappeler, si bref soit-il, le legs de John Blow en ce qui a trait à la musique dramatique, et nous invite à la redécouverte de son vaste répertoire sacré et profane.
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Vénus et Adonis, opéra en trois actes et un prologue de John Blow
Production : Ateliers d’’opéra et de musique baroque de l’Université de Montréal
Enregistré à la salle Claude-Champagne, le 14 novembre 2020
INT : Agnès Ménard (soprano) ; Ricardo Galindo (baryton) ; Robyn Perry (soprano)
DM : Luc Beauséjour
MES : Marie-Nathalie Lacoursière
- Production