CRITIQUE- Festival d’opéra de Québec - Le Vaisseau fantôme de François Girard... en quête de perfection
François Girard avait mis la barre tellement haut avec son Parsifal au Metropolitan Opera en 2013, unanimement acclamé, que l’attente était grande pour sa troisième production wagnérienne. Les premières images de tempête en sont belles et fortes (projections de Peter Flaherty), en écho à l’une des ouvertures de Wagner les plus somptueuses. Malheureusement, la direction musicale de Jacques Lacombe distille l’ennui et l’orchestre témoigne de déficiences qui seront récurrentes durant toute la soirée (peu de contrastes sonores, qualité moyenne des cordes, dérapage des cors). Au centre de la scène, Senta ne bouge presque pas durant toute l’ouverture, ce qui est d’autant plus long que l’on comprendra seulement plus tard pourquoi elle se tient à une corde. Au premier acte, le superbe bateau de Daland, conçu par John Macfarlane, est tiré sur la scène par les marins qui n’ont pas beaucoup d’espace pour évoluer. Leurs rares gestes auraient mérité d’être mieux synchronisés.
Le statisme initial prend plus de sens lors des interventions du Hollandais, cantonné côté cour et séparé par une petite rivière de l’espace de Daland, du pilote, et plus tard d’Erik, qui évoluent côté jardin. Senta, elle, se distingue de tous les autres personnages par sa position centrale et sa robe rouge par opposition à la dominante beige, blanche et grise des choristes et des autres partenaires (costumes de Moritz Junge). Girard ne donne pas à voir – et il ne le fera jamais – le vaisseau fantôme, pour mieux le situer dans le monde du rêve que traduit le titre français de l’opéra. Le Hollandais et Senta ne se toucheront que du regard. Traitant le premier acte comme une (longue) introduction, Girard donne ainsi la priorité aux relations psychologiques.
La mise en scène prend son envol au deuxième acte, le plus réussi de toute la production et dans lequel Girard innove. Que faire avec le chœur des fileuses, au travail pendant que les hommes sont en mer ? Ici, de nombreuses cordes mouvantes pendent des cintres et resserrent l’espace où Senta imagine le Hollandais : au lieu de se perdre dans la contemplation de son portrait, elle est dominée par un immense œil projeté sur le fond de scène d’où il apparaîtra, comme dans le rêve de sa ballade.
On aurait espéré que, dans le troisième acte, Girard ait résolu deux difficultés de cette œuvre. Si le Hollandais croit que Senta va le trahir, c’est parce qu’il a entendu Erik évoquer dans sa cavatine l’amour qu’elle lui a porté. Une position plus éloquente des personnages aurait permis de rendre plus compréhensible la méprise du Hollandais à l’égard de l’attitude d’Elsa. Dans la plupart des mises en scène, on occulte la scène finale de transfiguration, soutenue par l’incandescence de la musique (quand elle est bien jouée), au cours de laquelle Senta et le Hollandais, selon Wagner, surgissent enlacés de la mer et s’élèvent dans le ciel. Girard se contente du rougeoiement du soleil levant. On aurait souhaité, théâtralement, un embrasement métaphysique.
La production de Québec fait largement appel à une distribution québécoise et canadienne. Éric Thériault (Le Pilote) est à la hauteur de ce que ses interventions à l’Opéra de Québec avaient révélé. J’ai aimé la traduction musicale et théâtrale, par Allyson McHardy, du désarroi de Mary, confrontée à l’engouement de Senta pour le Hollandais. Dans la cavatine, les aigus parfois incertains d’Éric Laporte (Erik) n’ont pas permis de donner à son duo avec Senta toute la tension qu’on attendait avant le dénouement final. La prestation d’Andreas Bauer Kanabas (Daland) est convaincante de bout en bout. Les graves de Gregory Dahl (Le Hollandais) semblent venir avec force d’outre-tombe. Mais la distribution est dominée par la sud-africaine Johanni van Oostrum qui se joue des difficultés vocales conformes au style lyrique des années 1840. On regrette seulement que ses aigus, toujours justes, n’aient pas la puissance qu’on attend d’une soprano wagnérienne.
Andreas Bauer
Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner
Festival d'opéra de Québec, 2019
Photographie : Louise Leblanc
Le Vaisseau fantôme de François Girard n’en est qu’à ses débuts. Notre metteur à scène a tout le loisir d’en corriger les imperfections d’ici sa présentation au Metropolitan Opera en mars 2020. Nul doute que l’excellence de l’orchestre du Met et la direction souvent inspirée de Valery Gergiev sauront soutenir la conception girardienne de ce drame psychologique dont le hiératisme s’inscrit dans la lignée classique d’un Wieland Wagner.
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Le Vaisseau fantôme, opéra de Richard Wagner en trois actes sur un livret du compositeur
Production : Festival d’opéra de Québec, Metropolitan Opera de New York, Opéra national des Pays-Bas et Festival d’Abu Dhabi
Salle Louis-Fréchette, 3 août 2019
INT : Gregory Dahl (Le Hollandais), Andreas Bauer Kanabas (Daland), Johanni van Oostrum (Senta), Allyson McHardy (Mary), Éric Laporte (Erik) et Éric Thériault (Le Pilote)
DM : Jacques Lacombe
ORC : Orchestre symphonique de Québec
CH : Chœur de l’Opéra de Québec
MES : François Girard
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