EUGÈNE ONÉGUINE : ÉTIENNE DUPUIS ET NICOLE CAR, UN COUPLE LYRIQUE… À LA HAUTEUR !
(Photo : Étienne Dupuis (Eugène) et Nicole Car (Tatiana) dans Eugène Onéguine de Tchaïkovski, Opéra de Montréal, 2019)
Pour inaugurer sa 40e saison et pour la première fois de son histoire, l’Opéra de Montréal s’ouvrait au répertoire lyrique russe en présentant Eugène Onéguine du grand compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski. Le choix d’inscrire cette œuvre à la programmation de la compagnie lyrique montréalaise n’était sans doute pas étranger au fait que l’un des résidents les plus célèbres de son atelier lyrique, le baryton Étienne Dupuis, avait incarné le personnage sur d’autres grandes scènes lyriques du monde et qu’il avait d’ailleurs, quelques mois plus tôt au Deutsche Oper de Berlin, eu pour partenaire dans le rôle de Tatiana nulle autre que son épouse, la soprano australienne Nicole Car (voir la critique à ce sujet dans le numéro d’été 2019 ; L’Opéra, nº 20, p. 38).
Et le « couple lyrique » de l’heure, comme l’aura présenté l’Opéra de Montréal pour lancer la saison 2019-2020, aura été à la hauteur des attentes qui avaient été créées. L’on comprend pourquoi Étienne Dupuis est aujourd’hui réclamé par les directions artistiques des plus grandes scènes lyriques de la planète : non seulement la voix est calibrée et le timbre brillant, mais le baryton est en outre devenu un acteur de premier ordre dont le jeu dramatique rend dorénavant crédible tout personnage qu’il est appelé à incarner. On lui avait déjà reconnu ce talent lorsque l’Opéra de Montréal lui avait confié le rôle Joseph de Rocher dans la production de Dead Man Walking de Jake Heggie et force est de constater que le rôle-titre de l’opéra de Tchaïkovski lui a permis donner à l’art lyrique ses plus belles lettres de noblesses. Dans son rôle de Tatiana, Nicole Car était lumineuse et a offert une performance de très haut niveau. Son interprétation du célébrissime air de la lettre était émouvante et l’expérience aidant, elle est certainement appelée à devenir l’une des grandes Tatiana de sa génération.
Si le couple Dupuis-Car s’est distingué au sein de la production, une autre force de celle-ci résidait dans sa distribution d’ensemble. Parmi les interprètes dont il faut souligner la qualité de la prestation figure sans conteste Carolyn Sproule. Le rôle d’Olga, que lui avait aussi confié l’année dernière le Michigan Opera Theatre, convient à cette personnalité attachante qui est la sienne et dont la prestation vocale et théâtrale a servi à merveille le personnage. La performance d’Owen McCauland était également digne de mention, car son Lenski a établi un rapport avec l’Onéguine d’Étienne Dupuis qui nous a valu des tableaux mémorables et en particulier celui du fameux duel dont le résultat nous a privé du plaisir de réentendre le baryton. Les prestations vocales de Denis Sedov, Christianne Bélanger et Stefania Toczyska méritent également d’être soulignées, comme l’est aussi celle de Spencer Britten – qui avait livré la saison dernière un mémorable Peter Quint dans The Turn of the Screw – et dont l’amusant Triquet a démontré la grande versatilité de son jeu.
Si la mise en scène de Tomer Zvulun mettait en valeur les acteurs et actrices du drame de manière suffisante, elle demeurait parfois statique et n’était pas toujours soutenue convenablement par les éclairages de Claude Accolas. Toutefois, la faiblesse de cette première production, car il faut bien la souligner, résidait plutôt dans l’accompagnement orchestral qui ne rendait pas justice à la partition de cette grande oeuvre lyrique de Tchaïkovski. Le chef Guillaume Tourniaire ne semble pas avoir été en mesure d’exploiter à sa juste valeur les talents des instrumentistes de l’Orchestre Métropolitain, dont l’expérience lyrique n’est pourtant plus négligeable et qui ont offert durant les dernières saisons de remarquables moments musicaux dans la fosse de la salle Wilfrid-Pelletier.
Qu’à cela ne tienne, le public montréalais mérite qu’on lui présente dans la prochaine décennie d’autres œuvres du répertoire lyrique russe. On anticipe le plaisir de voir, pour ne prendre que deux exemples, La Dame de Pique du même Tchaïkovski et Le Prince Igor de Borodine, deux œuvres qui ont fait la richesse de cet art total qu’est l’opéra.
Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovski
Eugène Onéguine, opéra de Piotr Ilitch Tchaïkovski en trois actes sur un livret de Constantin Chilovsky et du compositeur Alexandre Pouchkine.
- Production
- Opéra de Montréal
- Représentation
- Salle Wilfrid-Pelletier , 14 septembre 2019
- Chef de chœur
- Claude Webster
- Direction musicale
- Guillaume Tourniaire
- Instrumentiste(s)
- Orchestre Métropolitain
- Interprète(s)
- Étienne Dupuis (Eugène Onéguine), Nicole Car (Tatiana), Owen McCauland (Lenski), Carolyn Sproule (Olga), Denis Sedov (Prince Grémine), Christianne Bélanger (Larina), Spencer Britten (Triquet), Stefania Toczyska (Filipievna), Jean-Philippe Mc Clish (Capitaine), Brenden Friesen (Zaretski) et Simon Chaussé (Guillot)
- Mise en scène
- Tomer Zvulun