CRITIQUE- Festival d'opéra de Québec- Un Vaisseau fantôme mémorable
François Girard a eu l’intelligence de ne pas vouloir réinventer cette œuvre emblématique. Il s’est employé à rendre le récit limpide et les émotions claires. L’atmosphère est directement inspirée par l’iconographie romantique allemande : le décor est sombre, teinté d’un gris bleuté aussi froid qu’inquiétant et les rares éclats de lumière dans ce ciel nocturne évoquent les toiles de William Turner et de Caspar David Friedrich. La nature est donc au diapason des émotions humaines : troubles et complexes. Le ton est donné.
Outre l’immense navire sur scène (celui de Daland, car celui du Hollandais, par son absence, nourrissait l’imaginaire des spectateurs quant à son profil fantastique), l’essentiel du décor se résume en un plateau de pierres et des projections judicieuses pour créer cette atmosphère sombre et inquiétante que requiert l’œuvre. L’entrée en scène du Hollandais, fantomatique malgré sa simplicité désarmante, est un moment marquant du spectacle. Et quelle brillante idée que d’utiliser ces immenses cordes de marins pour le chœur des fileuses, qui se transforment en porte et cloisons pour la scène suivante. Quant à lui, le portrait du Hollandais au deuxième acte, réduit à un œil géant extrêmement expressif, crée un effet des plus prenants. Le spectacle regorge d’images saisissantes, évocatrices, carrément belles. Tant dans l’écrin visuel que dans la direction d’acteur, François Girard démontre son habileté à construire et à présenter avec simplicité et clarté un récit tout en soulignant son riche symbolisme. Rien n’est laissé au hasard, mais rien n’est grossièrement appuyé non plus ; tout est en finesse et en intelligence, en plus d’être esthétiquement admirable.
L’opéra n’est pas que mise en scène, mais aussi un spectacle musical et sur cet aspect, cette production était de haut vol. Le Hollandais de Gregory Dahl est un peu en retrait (et vocalement un peu neutre), mais on y décèle un tempérament renfermé, reclus, écrasé par la malédiction dont il est victime. Le personnage nous paraît ainsi plus humain que surnaturel, plus abattu que belliqueux.
La Senta de la soprano sud-africaine Johanni van Oostrum était époustouflante. Avec autant d’assurance que de délicatesse, elle est capable d’une grande palette expressive grâce à un timbre constant et une excellente projection. De plus, van Oostrum offrait une véritable performance d’actrice, notamment durant l’ouverture (jeu muet, mais complètement investi dans la proposition du metteur en scène), la scène de la ballade et lors de son premier contact avec le Hollandais, trois moments puissants magnifiés par son talent. Dans le rôle de Daland, son père, Andreas Bauer Kanabas affichait un dynamisme contagieux qu’appuyait une voix à la projection surprenante. Le ténor québécois Éric Laporte incarnait son rôle homonyme avec un bel aplomb. Finalement, Allyson McHardy et Éric Thériault ont interprétés leurs (petits) rôles avec un grand professionnalisme.
Le Chœur de l’Opéra de Québec s’est montré à nouveau d’une grande qualité, rayonnant particulièrement au début du troisième acte. Alliant puissance et agilité, les choristes ont aussi rayonné par leur présence scénique. Dans la fosse, l’Orchestre symphonique de Québec a offert une prestation vive et dynamique, quoi qu’on aurait parfois aimé des cuivres plus mordants. Néanmoins, l’unité des sonorités et la beauté des couleurs instrumentales reflètent les grandes qualités de cet orchestre. Le chef Jacques Lacombe, qui connaît très bien la partition, a dirigé l’œuvre avec une grande souplesse et un sens du drame inné. Il semble très sensible aux propositions du metteur en scène et à l’implication des interprètes, réussissant à unifier tous ces éléments en une symbiose parfaite.
Le Festival d’opéra de Québec peut s’enorgueillir de cette grande réussite qui sera gravée dans les souvenirs des spectateurs. La production poursuivra son chemin jusqu’à New York pour ensuite prendre l’affiche à Amsterdam. Il faudra voir si cette magnifique mise en scène passera le test de la transmission au cinéma dans le cadre de la série Met en direct et haute définition prévue pour le samedi 14 mars 2020.
*****
Le Vaisseau fantôme, opéra de Richard Wagner en trois actes sur un livret du compositeur
Production : Festival d’opéra de Québec, Metropolitan Opera de New York, Opéra national des Pays-Bas et Festival d’Abu Dhabi
Salle Louis-Fréchette, 3 août 2019
INT : Gregory Dahl (Le Hollandais), Andreas Bauer Kanabas (Daland), Johanni van Oostrum (Senta), Allyson McHardy (Mary), Éric Laporte (Erik) et Éric Thériault (Le Pilote)
DM : Jacques Lacombe
ORC : Orchestre symphonique de Québec
CH : Chœur de l’Opéra de Québec
MES : François Girard
- Production