DAS RHEINGOLD : COMMENT RATER LE RENDEZ-VOUS ATTENDU AVEC WAGNER
(Photo : Roger Honeywell (Loge) et Ryan McKinny (Wotan) dans Das Rheingold de Wagner, Opéra de Montréal, 2018. Crédit : Yves Renaud)
C’est sans doute parce que les productions wagnériennes de l’Opéra de Montréal sont plus rares que celles de Mozart, Verdi ou Puccini que ma déception a été à la hauteur de mes espérances.
Une surprise nous attend dès le lever du rideau : l’orchestre a été installé sur la scène. À coup sûr une idée originale et positive, car ce dispositif inhabituel permet aux voix des chanteurs et des chanteuses de ne pas être écrasées par la masse symphonique. C’est seulement à Bayreuth que l’incomparable acoustique du Festspielhaus donne l’illusion que les chantacteurs évoluent devant l’orchestre, ce qui est concrètement le cas ici. Malheureusement, la distribution vocale présentée à Montréal ne mérite pas cette efficace mise en valeur. L’engagement de dix artistes canadiens sur quinze est certainement louable, mais encore faudrait-il qu’ils aient l’étoffe de voix wagnériennes. Soulignons la notable exception de Nathan Berg (Alberich) qui, à la fois pathétique et nuancé, domine la distribution, celle de Catherine Daniel qui donne au rôle de Erda toute la solennité et le hiératisme voulus, et la finesse comique, vocale et gestuelle, de Roger Honeywell (Loge). Mais pour le reste, on regrette qu’on ait confié le rôle essentiel de Wotan à Ryan McKinny qui l’aborde ici pour la première fois sans avoir pour cela la force et le coffre nécessaires. La biographie des autres artistes montre que l’Opéra de Montréal n’a pas craint d’essuyer les plâtres. Une partition aussi monumentale que celle d’un opéra de Wagner mérite mieux. À cet égard, la baguette de Michael Christie, convenable sans plus, ne donne pas tout son relief à des moments importants, comme le thème du Walhalla. Un authentique chef wagnérien aurait su tirer davantage d’un Orchestre Métropolitain, pourtant irréprochable de justesse et de précision.
Le dispositif adopté pour cette production a permis au metteur en scène et concepteur des décors, Brian Staufenbiel, de distinguer l’environnement aquatique des filles du Rhin et le royaume souterrain des Nibelungen émergeant de la fosse d’orchestre, le monde des géants sur le plateau, dupliqués sur un écran, et les Dieux évoluant sur une passerelle surplombant l’orchestre. Je n’ai rien contre une production qui prend le parti de la fidélité à la lettre du récit mythique (comme en témoignent les costumes traditionnels de Matthew Lefebvre), et cette hiérarchisation visuelle était en soi une excellente idée. Encore aurait-il fallu qu’elle ne fasse pas peser sur la mise en scène des contraintes inadmissibles. Au lieu de véritablement descendre vers le Nibelheim puis d’en remonter, Wotan et Loge disparaissent et reviennent par le fond de la scène. Parce que les géants, cantonnés côté cour, sont séparés des Dieux coincés sur la passerelle, ils n’ont aucun contact avec Freia qu’ils veulent enlever à deux reprises et ils tournent le dos à l’accumulation de l’or qu’ils sont censés contrôler. Jamais l’isolement tragique de Freia n’aura été palpable, d’autant plus que, ici, la direction d’acteurs est inexistante. Il y a dans cette production trop d’idées inabouties. J’ai apprécié que, à la toute fin, l’anneau dont la matérialisation est un cauchemar pour tous les metteurs en scène, soit plus grand que nature, mais pourquoi ne pas l’avoir fait dès le début ? Sur le rideau de scène, on voit tourner des roues empruntées aux Temps modernes de Charlie Chaplin, mais cette mise en rapport du mythe avec l’ère industrielle naissante à l’époque de Wagner ne sera pas exploitée par la suite. Alberich se transforme en dragon et la projection vidéo qui le représente de manière abstraite ne manque pas de beauté, mais elle ne suffit pas à incarner le monstre qui devrait terroriser Wotan et Loge. Le Nibelung devient ensuite un crapaud, mais pourquoi l’avoir escamoté ? De ce fait, on comprend mal comment Wotan et Loge se saisissent de lui. La passerelle aurait pu être utilisée pour permettre la montée finale des Dieux au Walhalla. La mise en scène d’une marche, à la fois triomphale et douloureuse, sur un arc en ciel comme le précisent les didascalies, est ici essentielle. « À leur perte, ils se précipitent, ceux qui s’estiment si sûrs d’eux », commente Loge. Au lieu de cela, ils tournent le dos au public, sans bouger, face à de minces filets de lumière, tandis que le Walhalla se rapproche d’eux sans que ce mouvement soit réellement convainquant…
Espérons que, pour son prochain Wagner, l’Opéra de Montréal saura faire mieux.
Das Rheingold
L’Or du Rhin, prologue en quatre scènes de L’Anneau du
Nibelung de Richard Wagner sur un livret du compositeur
Production : Minnesota Opera
- Production
- Opéra de Montréal
- Représentation
- Salle Wilfrid-Pelletier , 10 novembre 2018
- Direction musicale
- Michael Christie
- Instrumentiste(s)
- Orchestre Métropolitain
- Interprète(s)
- Ryan McKinny (Wotan), Roger Honeywell (Loge), Gregory Dahl (Donner), Steeve Michaud (Froh), Aidan Ferguson (Frika), Caroline Bleau (Freia), Catherine Daniel (Erda), Andrea Núñez (Woglinde), Florence Bourget (Wellgunde), Carolyn Sproule (Flosshilde), Julian Close (Fasolt), Soloman Howard (Fafner), Nathan Berg (Alberich) et David Cangelosi (Mime)
- Mise en scène
- Brian Staufenbiel